Invitée par le LAAC de Dunkerque à exposer ses travaux (dessins, peintures, croquis ou sculptures), Françoise Pétrovitch en a également profité pour confronter ses productions à des œuvres appartenant à la collection du LAAC, dont certaines pièces de Bernard Rancillac, Christian Boltanski, François Morellet, Berlinde De Bruyckere ou Gerhard Richter. Les cinq salles de son exposition se déploient alors comme autant d’alcôves structurant un parcours en cinq séquences centrées autour d’un concept esthétique cher à l’artiste: le corps, la mémoire, le détail, le morcellement, la disparition.
Chaque alcôve s’ouvre par un petit cartel dessiné par Françoise Pétrovitch, fonctionnant comme une introduction ou un condensé des œuvres et du thème qui y seront abordés. Ainsi, nous n’avons pas véritablement de texte ou de cartel écrit pour nous guider ou influencer notre perception des œuvres et de l’espace, Françoise Pétrovitch privilégiant donc le visuel au conceptuel, la vision spontanée et subjective au discours institutionnel. Toutefois, une citation vient conclure l’accrochage de chaque salle, comme un aphorisme à méditer: «L’énigme tient en ceci que mon corps est à la fois voyant et visible», lit-on au bout de la première alcôve, en écho au dernier ouvrage de Maurice Merleau-Ponty, L’œil et l’esprit.
Un fragment de corps en céramique (une botte, en réalité) se trouve accolé à une peinture pop de Bernard Rancillac, où s’affrontent des crampons de footballeurs tentant de contrôler un ballon sur un gazon vert pétard. Le même terme de «pied» ou de «feet» est donc illustré par une sculpture grise épurée ou par une peinture aux couleurs pop criardes. Mais cette première salle de l’exposition prend une tournure plus sombre et dramatique avec Bombardement n°142 de François Arnal, où un habit blanc flotte dans les ténèbres tel un spectre fantastique. Françoise Pétrovitch répond d’ailleurs à cette toile avec Garçon au squelette et sa triste mine pâle entourée de taches de lavis, véritable signature de l’artiste. Par là , on voit bien que des correspondances thématiques se tissent entre les œuvres de Françoise Pétrovitch et celles du LAAC du Dunkerque, même si leur style et leur parti pris esthétique différent tout à fait.
La seconde salle de l’exposition a retenu toute notre attention, développant encore cette atmosphère moribonde et mystérieuse que l’on pressentait déjà dans les œuvres de Françoise Pétrovitch. D’inquiétants portraits d’enfants se succèdent. Leurs tonalités sombres jurent avec quelques touches de couleurs venant rehausser l’ensemble: des masques verts, les pattes rouges d’un oiseau recueilli au creux des mains, les cheveux roux d’une gamine. On retrouve également des enfants dans les mises en scène de Gérard Schlosser, faisant elles aussi la part belle à des atmosphères pour le moins angoissantes: au premier plan, on perçoit le corps d’un adulte allongé, une petite fille téléphonant juste derrière. Quel drame a-t-il bien pu avoir lieu? Se trouve-t-on sur une scène de crime, ou juste après un malaise? Le mystère se prolonge avec la sculpture de Berlinde De Bruyckere, C. Reybrouck, enfouissant un corps sous un amas de linges et de couvertures orangés, tandis que la toile Gris de Gerhard Richter achève de nous plonger dans la mélancolie.
Si l’exposition ne présente finalement qu’assez peu de sculptures et de céramiques de Françoise Pétrovitch, c’est pour mieux privilégier les œuvres en deux dimensions, et plus particulièrement les dessins de l’artiste qui se trouvent présentés sur un grand plateau aux côtés d’œuvres de Christine Deknuydt. Ces dessins constituent sans nul doute un des moments forts de l’exposition. N’étant pas présentés sous une vitrine, un rapport plus direct s’établit entre eux et le spectateur. Le dessin apparaît d’ailleurs comme la pratique privilégiée de Françoise Pétrovitch, l’artiste expliquant que c’est par ce biais là qu’elle s’est d’abord mis à créer, et que le dessin lui permet de se trouver rapidement au plus près des choses.
Plus inattendu, on découvre au bout de l’exposition une vidéo réalisée avec Hervé Plumet, intitulée Entrée Libre. A Thouars, l’artiste a investi les vitrines de commerces et de boutiques désaffectés. Les grands dessins rouges qu’elle y accole viennent vivifier ces lieux moribonds et vitaliser la ville. Mais Françoise Pétrovitch se demande également si ses dessins seront véritablement perçus par les habitants pris dans leur routine quotidienne. Les figures de Françoise Pétrovitch se définissent ainsi comme des présences fantomatiques, tandis que l’intérieur vide, silencieux et délabré de ces lieux à l’abandon contraste avec les bruits et les mouvements des passants et les rumeurs frémissantes de l’agglomération.