Not Vital
Sculptures, Diao Su
L’artiste suisse Not Vital expérimente de nouveaux matériaux, explore d’autres lieux et rencontre des communautés différentes. Sa curiosité pour le vaste monde structure sa carrière en périodes, consacrées par exemple aux souffleurs de verre de Murano, aux bijoutiers touaregs ou encore aux artisans papetiers du Bhoutan.
Les œuvres récentes présentées reflètent l’influence de la Chine, et plus particulièrement de Pékin. Depuis 2008, Not Vital travaille cinq mois par an dans son atelier dans le quartier de Caochangdi, au nord-est de Pékin. Il a découvert là -bas une créativité et un savoir-faire exceptionnels dans l’artisanat de l’acier. Tongue [La Langue] est une sculpture exécutée dans une fonderie des environs de Pékin. Au lieu de mouler l’acier, l’artiste l’a façonné à la main. Cette méthode très longue et exigeante donne un effet poli miroir sur sa surface.
Le thème de la langue avait déjà fait son apparition dans les œuvres de Not Vital en 1985, du temps où il travaillait à Lucques avec les marbriers de Carrare. Il avait acheté plusieurs langues de bœuf à la triperie du quatrier et les avait coulées dans le bronze. Cette forme brute, élégante et érotique, lui plaisait, de même que l’idée de métamorphoser un bas morceau de boucherie en œuvre d’art. Depuis, il a simplifié la forme de la langue, il l’a agrandie dans des proportions variables et transposée dans des matériaux divers: marbre blanc, marbre noir, plâtre, argent et acier. Ce motif est devenu emblématique tout en conservant une certaine ambiguïté. La beauté plastique alliée aux connotations brutales de l’abattoir donne un caractère singulier à chacune de ces sculptures. La Langue en acier s’éloigne de la version initiale par sa forme et sa signification pour se situer à mi-chemin entre architecture et totem.
Malgré ses longs séjours à Pékin, Not Vital ne se coupe pas de ses racines suisses. Piz Nair («mont noir » en romanche) est un bloc de charbon chinois sculpté en forme de pic montagneux. Il emprunte son nom au plus haut sommet des Grisons, la région natale de l’artiste. L’énorme pic alpin se réduit aux dimensions d’une sculpture relativement petite, alors qu’au contraire la langue est démesurément grossie. Les décalages d’échelle et la présentation d’une sorte de monde à l’envers attirent l’attention sur les formes et les matériaux. Le charbon, inusité en sculpture, revêt une signification politique dans le contexte de la vie quotidienne à Pékin, où les gens en brûlent des quantités pour se chauffer sans prendre la moindre précaution. Quand Not Vital sculpte une montagne puissante et indestructible dans un matériau aussi fragile que le charbon, il manifeste son penchant habituel pour l’étrange et le saugrenu.
En témoigne aussi sa sculpture Untitled en plâtre et plastique. La forme renflée en plâtre, biomorphique, est à la fois sensuelle et surnaturelle, comme figée dans l’instant où elle va tomber de son socle. Un film plastique semi-opaque l’enveloppe d’un linceul mystérieux. La forme en plâtre peut prendre une apparence presque humaine, évoquant un nu voilé, mais elle peut aussi devenir totalement abstraite. Cette oscillation du sens reste profondémet ancrée dans la démarche créative de Not Vital.
La diversité des matériaux se poursuit avec 385. La fameuse savonnette Camay typiquement anglaise, fabriquée désormais en Corée, a trouvé sa place dans l’art mondialisé de Not Vital. À son atelier pékinois, il a utilisé le savon pour créer une forme logiligne avec de nombreux points. Cette oeuvre est intitulée 385, d’après le nombre de points qui parcourent sa surface. La surface rose violacé, à l’aspect cireux quelque peu troublant, exhale des effluves poudrés.
Par-delà les différences de matériau et de contenu, les œuvres réunies dans l’exposition sont soudées par l’affirmation très forte d’une vision personnelle de l’artiste, en quête de modes d’expression sans cesse renouvelés. Au contact des artisans et des traditions culturelles, savantes ou populaires, de Pékin, Not Vital a créé un ensemble d’œuvres mariant les préoccupations intellectuelles à l’intégrité matérielle.
critique
Sculptures, Diao Su