Xavier Veilhan
Sculptures automatiques
CM: Tu présentes dans ton exposition des sculptures inspirées des monuments comme le Monstre réalisé à Tours et le Lion de Bordeaux.
Le mot «statuaire» était jusqu’aujourd’hui un terme peu employé par les artistes contemporains. Tu as, depuis tes débuts à la fin des années 80, affirmé ton intérêt autant pour cette tradition que pour les dance-floors. De nos jours, il semble que cette terminologie revienne, lorsque j’entends Paul McCarthy revendiquer qu’il réalise des statues plutôt que des sculptures.
Peux-tu préciser ta position d’alors et son évolution ?
XV: Dans mon travail, j’ai toujours associé les techniques les plus traditionnelles et les plus contemporaines. Aussi, je perçois l’histoire de l’art, et plus particulièrement celle de la fabrication des œuvres, comme étant sans rupture; en cela je me considère comme un artiste classique. Une statue, c’est une personne devenue publique. Je réalise des statues représentant des amis, donc des personnes inconnues, que le public ne pourra identifier. Cette idée paraphrase un peu celle de l¹imitateur qui, se moquant de son beau-frère, réussit à faire rire son public bien que celui-ci n’ait jamais vu le beau-frère en question. Dans la statuaire, j’active une zone de contact entre le public et le privé: cela de manière littérale lorsque j’interviens, dans un même temps, dans l’espace des galeries et celui des places publiques.
Regarder une statue, c’est regarder une personne qui ne peut vous voir; c’est s’attacher à la forme d’un être. A travers mes projets réalisés dans l’espace public, je tente d’établir un nouveau rapport entre les citoyens de la ville et des statues de grande taille. Dans le contexte citadin, mes œuvres deviennent des pièces autonomes aux yeux d¹un public qui ignore le reste de mon travail; la notion même d’auteur y est diluée dans l’espace urbain, l’oeuvre doit y agir par elle-même.
Je pense que dans la statuaire, en éliminant toute tentative de portrait psychologique, et en s’en tenant à un strict relevé corporel, on atteint une représentation plus universelle.
CM: L’originalité de ta position repose également sur un intérêt constant pour les techniques les plus récentes. Peux-tu expliquer la technique que tu utilises, entre autre dans ton exposition «People as Volume», réalisée en janvier 2005 chez Andrehn-Schiptjenko?
XV: La technologie est souvent déprimante, et dans sa combinaison avec l’économie, elle apparaît parfois comme étant sans pilote et sans direction, lancée comme un escalier au milieu d¹un grand vide. Pourtant, je garde l’espoir que la modernité puisse être réinventée à partir de connections nouvelles entre les disciplines. Une partie de mon travail consiste à établir des relations d’un domaine à un autre, en me basant sur une vision d’ensemble de dilettante: je suis juste suffisamment bien informé pour frapper aux bonnes portes et pour choisir les bonnes directions à prendre.
J’utilise et je développe la technique de la captation en 3D. Les modèles doivent y rester immobiles pendant vingt minutes devant un scanner que l¹on déplace pour obtenir une vingtaine de fichiers qui seront ensuite recomposés en un fichier unique: celui-ci commandera une machine-outil qui sculpte un bloc de mousse polyuréthane, de bois ou de polystyrène. Théoriquement, je n’ai pas de contact physique avec ce processus, hormis le choix du modèle et de sa pose, de la taille de l’œuvre finale et de la nature du matériau utilisé.
CM: A travers les Light Machines ou dans tes récentes photographies Paysages-Fantômes -qui utilisent un procédé de sablage sur aluminium à partir d’une image numérique, et transforment ainsi une photographie en tableau-sculpture -tu explores les possibilités de l’image numérique d’une manière inédite. Au lieu d’utiliser l’ordinateur pour créer des images virtuelles, tu réfléchis aux significations du numérique par rapport à l’argentique, afin de créer des images «entre-deux» médiums. Peux-tu prolonger cette réflexion jusqu’à tes recherches actuelles?
XV: Je ne recherche pas consciemment cet entre-deux dans mon travail. Néanmoins, il y a bien sûr des liens évidents entre la vannerie et la représentation en filaires, entre les images chimiques (la photographie, la gravure) et les images numériques. Le numérique met les images en l’air, en mettant en avant le réseau en contraste avec le terminal unique, et en transgressant les notions d¹original (le master) et de copie (la matérialisation, l’objet final).
Le réel encodé sert à décoder le réel.
CM: Tu avais réalisé l’an dernier pour le Centre Pompidou un gigantesque mobile noir, Le Grand Mobile, suspendu au dessus de la fosse centrale du forum du musée. Tu édites aujourd’hui un mobile identique dans une version au 10ème. En quoi ce travail d’échelle poursuit-il les recherches que nous avons évoqué plus haut?
XV: Le Mobile du Centre Pompidou mesure trente mètres de diamètre ce qui est bien trop grand pour le faire entrer chez moi. Par contre, la maquette du projet, longtemps suspendue au plafond de mon atelier, a accompagné mon travail et le va-et-vient des visiteurs, de ses mouvements. Cette version réduite du mobile est toujours d’une taille imposante et je la décline comme une sculpture mentale, comme la mise en forme des ondes et des flux électriques de nos cerveaux.
Dans cet hybride culturel que peut représenter le Centre Pompidou, les idées que je désirais souligner avec ce mobile étaient partagées par les visiteurs. La version éditée renvoie à un espace et à des idées relevant plutôt de la sphère domestique, plus intime.