Virginie Barré, Jean Dupuy, Asger Jorn, Tony Matelli, Bruno Peinado, Werner Reiterer, Alina Szapocznikow, Morgane Tschiember
Sculptures
Une dizaine d’années après Les soeurs Katz, sculptures réalisées pendant la résidence de l’artiste à New York (ISCP) en 2002, dont l’une se référait à une scène de L’Argent de poche de François Truffaut, Virginie Barré propose ici deux sculptures qui se font face. Deux enfants, dit-elle, qui complotent, s’inventent un jeu secret. Installés en miroir, l’un semble jouer avec le reflet de l’autre. Ils portent des vêtements identiques et intemporels (bottes, cirés) que l’on pourrait voir dans un Nicolas Roeg des années soixante-dix. Le titre, lui, fait référence à Jean et Joan Corbett, deux actrices jumelles américaines des années cinquante. Jean fut notamment la doublure de Kim Novak dans Sueurs froides d’Alfred Hitchcock.
«Je ne sais plus quand j’ai trouvé cet anacycle: «Oh! Cet ego — O ! Get echo», ni quand j’ai eu l’idée d’en faire un objet que j’appelle anacycle et que je signe ‘D. Anacycliste’. Une anacyclique est un mot ou une phrase qu’on peut lire dans les deux sens mais qui, contrairement au palindrome, change de signification. L’anacycle est un cycle pour une personne qui roule dans un sens ou dans le sens opposé sans pouvoir virer: elle a deux guidons, deux selles (face à face), deux pédaliers, deux freins et deux sonnettes qui ont deux sons différents; ce qui rend ce cycle plus anacycle que palindromique», dit Jean Dupuy à propos de son oeuvre.
Peu montrées du vivant de Asger Jorn, ces sculptures sont aujourd’hui l’occasion de redécouvrir une partie de l’oeuvre multiple de celui qui fut aussi créateur en 1954 du «Mouvement international pour un Bauhaus imaginiste» puis membre de l’Internationale situationniste de 1957 à 1961.
The Idiot est une sculpture d’extérieur de Tony Matelli en bronze figurant un vieux carton de bières Budweiser accroché au mur. Ce carton percé de deux trous, vestige probable d’une soirée arrosée, évoque une tête ou une effigie temporaire. Un ivrogne de la ville. L’idiot du village. Vidée de son contenu initial, la tête creuse devient entre les mains de l’artiste un perchoir pour les oiseaux qui y vivent, mangent et défèquent. Ils entrent et sortent de l’Idiot, traversent l’espace d’exposition, telles des bulles de pensée visuelle. L’espace tout autour n’est plus vide, ou inanimé, il est envahi par la cavité de l’Idiot. Dans la série Yesterday, Tony Matelli a transposé de savantes constructions de cartes à jouer, canettes, pizzas et mégots. Ces monuments au temps perdu menacent de s’écrouler à tout instant, et leur charme vient de leur apparente défaillance programmée. Les bronzes polychromes intitulés Yesterday sont des cairns honorant l’avenir, témoins de l’avènement des catastrophes.
À l’image de la Low Revolution 3 qu’il montre au PS1 Museum de New York en 2002, la pratique de Bruno Peinado se concentre dans des installations «mutantes», qui mêlent dessin, peinture, sculpture, «ready made» très assistés et éléments de décor (moquette, mobilier…), où l’impact visuel de l’ensemble sert d’écrin à des oeuvres emblématiques dotées d’une grande force d’évocation, comme le bibendum Michelin afro au poing levé (The Big One World, 2000).
Les oeuvres de Werner Reiterer évoluent à la lisière du non-sens, jouant sur la proximité étroite entre l’art et la vie pour récuser les représentations littérales du réel. Ses sculptures séduisantes à maints égards mêlent l’art et l’humour pour nous inviter à participer à leur réalisation, tandis que ses dessins bousculent notre conception de la réalité ordinaire par leur fantaisie poussée jusqu’à l’absurde. En brouillant les relations entre langage et image, il arrive à inverser notre point de vue et à réaffirmer, sur un mode à la fois amusant et éclairant, que l’art a le pouvoir de changer notre existence.
Les représentations du corps féminin de Alina Szapocznikow sont complexes et souvent troublantes, découlant de sa condition de déportée durant la seconde Guerre mondiale et du cancer qui l’a beaucoup affaiblie avant de l’emporter. Son art n’en demeure pas moins une manifestation de l’immense admiration qu’elle affirme pour la vie, comportant «cette indéfinissable qualité d’un humour détaché, cette étrange sérénité de l’érotisme» (Pierre Restany).
«L’expérience de la marche modifie notre rapport au temps et à l’espace. Ici, dans la ‘non-maison’, la lenteur est de mise. La marche permet alors d’observer l’arbre sous toutes ces coutures, de voir un monde sous un autre angle. Les marches ont une hauteur de trente centimètres, impliquant le marcheur dans une méthode de montée différente d’un escalier classique, plus proche de la hauteur des marches d’un temple Maya. Le corps est contraint de réaliser des mouvements plus amples et plus grands, et par conséquent à prendre de plus grandes respirations. Ces effets sur le corps mettront le marcheur de manière inframince en relation avec la nature qui l’entoure (poumon-arbre). Le marcheur-spectateur s’insère dans la double structure architecture/arbres. Cette ‘non-maison’ est à l’image de la forêt: ouverte et fermée à la fois, difficile a englober du regard et répétitive. On n’en voit pas le bout» (Morgane Tschiember).
critique
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