Au Quartier, l’exposition consacrée à Jean-Michel Sanejouand est vouée à la sculpture qui, bien évidemment, pose question.
Depuis 89, l’artiste conçoit de petites sculptures faites de pierres –le plus souvent du silex– ramassées au hasard de ses promenades. Longuement étudiées à l’atelier puis peintes en noir, elles sont associées par deux, trois ou quatre jusqu’à constituer une sculpture d’une quinzaine de centimètres. Les règles sont strictes : dans leur agencement, ces cailloux doivent être satisfaisants sous
tous les angles. Quelques deux cents pièces ont été ainsi assemblées à ce jour.
Vingt-huit d’entres elles sont exposées au Quartier.
Jean-Michel Sanejouand dit volontiers qu’il s’agit là de non-sculptures puisqu’il ne sculpte rien du tout. Et en effet, aucun geste de sculpteur –taille directe ou modelage– n’est requis, c’est la pierre elle-même qui suggère des formes de sculpture. Curieusement, la plupart sont figuratives, elles évoquent des formes humaines, animales ou végétales qui ne sont que « le fruit du hasard minéral »
puisqu’elles ne souffrent aucune retouche.
La deuxième règle qui préside à leur construction est qu’elles doivent pouvoir donner lieu à une seconde version en bronze, agrandie à une taille monumentale.
Deux d’entre elles ont ainsi été réalisées à la dimension souhaitée. Le Silence, qui fut exposé sur les Champs Elysées en 1999, est un bronze d’une tonne et demie, tiré d’une sculpture de vingt-cinq grammes tandis que le Magicien, assemblée en 1996, est une pièce de seize centimètres, agrandie trente fois pour atteindre une hauteur de cinq mètres avant d’être implantée sur le parvis de gare de Rennes en 2005.
Le dispositif de l’exposition déployée dans les quatre salles du Quartier rend compte de ce processus qui met le regard au travail.
Dans la première salle, l’oeil surplombe quatorze sculptures réalisées entre 1989 et 1995. Elles sont disposées sur un podium bas à quinze centimètres du sol entouré de bancs. La deuxième salle affiche au mur de grandes photographies du Silence et du Magicien dans leur version monumentale tandis quela troisième salle présente un nouvel ensemble de quatorze sculptures (1996/2007) sur un podium plus élevé (de quatre-vingt-quinze centimètres) qui place les pièces à la hauteur du regard lorsque l’on est assis. Il convient donc de se déplacer pour en découvrir tous les aspects. Le Champignon (1990), le Pousse Caillou (1990), l’Homme pressé (1995), L’appui (1999) ou le Chef (2007), toutes sont imprévisibles, la vision d’un angle ne permet jamais de déduire le développement de la forme vue d’ailleurs. Entre les éléments tout se joue sur des équilibres précaires, des rapports de force incongrus, des distances expressives.
L’exposition se conclut dans la quatrième salle sur un ensemble récent de seize Espaces-Critiques datant de 2007. Ces peintures de petits formats (environ 40 x 60 cm) remettent les sculptures en perspective cependant qu’elles permettent à l’artiste de poursuivre sa réflexion sur l’espace et sa conception. Hautes en couleur, elles figurent des paysages imaginaires dont la construction, toute en ruptures et en contradictions, est rapidement indiquée : un coup de brosse vient inscrire un ciel –rouge, jaune, orange ou bleu– dans le blanc lisse d’une surface proche d’un papier photo. L’oeil perçoit des plaines amorcées, de probables vallons, de possibles plages, des horizons montagneux, des routes, des aires indéfinies qui coexistent de manière incongrue, cependant qu’un trait de pinceau propulse soudain un champ au sommet d’une falaise ou qu’un personnage minuscule fait basculer l’espace dans une autre échelle soudain
gigantesque.
Dans les peintures de Sanejouand, c’est l’arbre qui plante le paysage et non l’inverse. Plus écrites que peintes, elles ont une qualité calligraphique qui témoigne d’un projet conceptuel lequel vise à exercer l’art de créer une expérience du sens et de sa construction.
Ambiguës, les peintures tout comme les sculptures piègent le regard pris dans un jeu de spéculations infinies. Si l’on peut dire qu’une des règles du jeu instauré par l’artiste consiste, dans les agencements de pierres, à abolir la distance entre un caillou et une sculpture, elle trouve un écho dans les peintures lorsque qu’un geste leste et abrupt, un simple mouvement du poignet qui laisse une trace comme par inadvertance, vient irrémédiablement faire signe et sens.