Il s’agit encore et toujours de traduire le réel pour l’ouvrir et l’élargir. Alors, tous les matériaux sont permis. Du bois, de la pâte à modeler, de la terre, du marbre, de la cire, de la mousse expansive, des objets trouvés, des briques, des plus traditionnels aux moins conventionnels, ils sont pluriels et infinis. Précieux ou dérisoires, communs, étranges et inattendus, ils inspirent et guident les artistes qui s’emploient à réinventer la sculpture, son histoire et son devenir. Armés d’une agrafeuse, d’un marteau, d’une bombe ou tout simplement de leurs mains, ils élaborent des gestuelles qui vont donner lieu à des volumes où le corps, la couleur, la forme, la matière, l’outil et le sens structurent un dialogue. Le rapport entre la matière et le corps constitue un point de départ d’une réflexion sur la sculpture actuelle. Parce qu’il est inhérent à son histoire, les artistes tendent à le dépasser, à le libérer ou à l’approfondir. La sculpture est ainsi envisagée de manière traditionnelle […], mais aussi par la combinaison avec d’autres mediums comme la performance, la photographie, le texte, la vidéo et la peinture. Sculpere comprend alors la sculpture à partir du corps qui est envisagé comme une source d’énergie, comme une matrice pensante, comme un outil performatif. Les oeuvres apparaissent comme des extensions corporelles traduisant «l’irrationalité concrète» de Salvador Dali. En résistant à une normalisation contagieuse et persistante, les oeuvres de Claude Cattelain, Mathilde Denize, Isabelle Ferreira, Sandra Lorenzi, Delphine Pouillé et Sarah Tschann participent à la création de nouvelles mythologies, de nouveaux rituels et de nouvelles formes plastiques et théoriques.
L’oeuvre sculpturale de Claude Cattelain transpire une dimension performative. Il fait de son corps un véritable outil mettant en jeu la tension, la répétition et l’endurance. Il élabore des dispositifs performatifs liés à l’espace d’exposition et à l’objet, qui génèrent des structures éphémères résultant d’un effort physique intense. Il travaille à partir d’éléments communs, une chaise, une brique, des cales en bois, des tasseaux, pour donner lieu à des œuvres précaires et radicales.
D’une autre manière, Isabelle Ferreira provoque un corps-à -corps avec le bois. Armée de bombes de peinture, d’un marteau arrache-clou ou d’une agrafeuse, elle percute la surface du bois en prélevant ou en ajoutant de la matière. Comme en témoigne la série Substractions, les médiums de la peinture et de la sculpture sont indissociables et complémentaires. Les planches de contreplaqué sont bombées puis attaquées au marteau. Les marques inscrites dans la matière sont semblables à des touches de peintures. Le pinceau est substitué au marteau, outils de construction comme de destruction.
Sarah Tschann s’inscrit davantage dans une mouvance primitiviste en déployant un univers brut, décalé et absurde. Wololo constitue une société imaginaire peuplée de personnages aux formes ingrates, dotés de gros yeux hallucinés et de langues pendues. Ils sont installés au creux de décors rocheux, organiques et postindustriels. Avec de la terre, du papier, de la peinture et d’autres matériaux amalgamés, l’artiste fait jaillir un nouveau peuple, mi-humain, mi-monstre, coloré et déglingué, qui remet en question les standards et les normes.
La monstruosité corporelle et l’informe font partie intégrante de l’œuvre de Delphine Pouillé. Elle gonfle ses enveloppes textiles de mousse expansive qui va, dans un premier temps, épouser le patron original, et, peu à peu, le déborder et le transgresser. Le corps, ce qu’il contient de vivant, devient ingérable. L’artiste s’applique à réparer les déchirures, à contenir les excroissances, à panser les plaies. Elle augmente les corps de prothèses et d’éléments étrangers — bois, ciment, tissus — pour renforcer la réparation de ses corps régis par une lente mutation.
Les sculptures de Mathilde Denize sont réalisées à partir d’objets incomplets, de fragments blessés et de petites ruines. Comme elles sont réalisées selon l’échelle de sa main, les formats sont réduits, intimistes. Dans la rue, dans la nature ou dans son atelier, l’artiste récolte des petits objets, qui, malgré la décontextualisation et le silence, revoient à deux univers: l’intime et le travail. La terre, le bois, le tissu et la pierre convoquent une série de métiers liés à l’artisanat et à l’art. Des territoires où la main et l’outil ne font plus qu’un. En creux, l’artiste explore l’histoire de la sculpture: ses origines, ses formes et sa symbolique.
D’une tout autre manière, Sandra Lorenzi travaille les symboles, l’espace et la mémoire en explorant les mécanismes visibles et invisibles du pouvoir. En analysant la matérialisation de la pensée dominante, son architecture, ses symboles, ses mots, elle en déconstruit la portée, consciente et inconsciente, sur la pensée et l’imaginaire collectifs. Avec une perspective critique, littéraire, formelle et ésotérique, l’artiste met à mal les archétypes d’un système de pensée univoque et oppressif.