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Sciences Versus Fiction

Situé au rez-de-chaussée de la Halle aux Farines des Grands Moulins de Paris, aux abords de l’Université Paris 7-Denis Diderot, Bétonsalon s’inscrit dans un quartier en construction, lieu d’une réflexion sur les possibilités architecturales d’un espace public en devenir.
Loin d’être anodin, l’emplacement de Bétonsalon ouvre de multiples possibilités de réalisation de sa vocation de «Centre d’art et de recherche pluridisciplinaire». Directement issue de cette réflexion, l’exposition Sciences Versus Fiction est conçue selon une pensée pragmatiste, privilégiant l’expérimentation, le bricolage, le schéma, la maquette, etc., donnant lieu à une série de rencontres entre scientifiques, étudiants, artistes, architectes et urbanistes.
Abolissant les frontières entre objets d’art et objets de sciences, entre les fonctions respectives de l’artiste, de l’architecte, du physicien ou de l’ingénieur, l’exposition se propose d’explorer nos perceptions subjectives et individuelles du bâti.

A l’entrée de l’espace, de petits schémas dessinés à la hâte — de ceux que l’on fait machinalement pour aider un passant égaré à retrouver son chemin — figurent la pensée pratique et quotidienne de notre environnement architectural. Les Percorsi Privati de Luca Vitone (1994-1999) soulignent la construction mentale d’itinéraires: la somme des motifs, enseignes, noms, formes, etc., auxquels notre esprit s’agrippe inévitablement pour habiter la ville, l’empreinte diffuse d’une distance parcourue, les variations infinies et subjectives de nos repères dans l’espace urbain.
Par leur graphisme négligé, certains d’entre eux laissent au visiteur le soin d’imaginer le récit plus exact qui les a probablement accompagné; d’autres, plus minutieux, font apparaître de manière distincte les contours d’un lieu dit, les rues environnantes, soulignant le processus mental de repérage qui les sous-tend. Par le détour de ces esquisses dérisoires, l’artiste italien révèle un espace urbain intériorisé et partiellement inconscient: une architecture mentale. 

Plus loin, les Psychoarchitectures (2008) de Christophe Berdaguer et Marie Péjus — deux petites maisons en résine blanche, inspirées de dessins d’enfants — prolongent l’exploration d’une architecture intérieure sur un mode analytique. Utilisé dans le cadre d’un travail thérapeutique, le dessin de la maison fait appel à un système de symboles, permettant au sujet inconscient de dénouer les fils d’un traumatisme antérieur.
La «psychoarchitecture» apparaît ainsi comme la réification d’une projection mentale, soulignant par ses formes incongrues l’aberration d’un espace architectural normalisé. Rendue enfin à son statut d’objet de contemplation, la maison s’expose comme un écran blanc, possible support d’introspection pour le regardeur.   
 
Au fond de l’espace, les œuvres entrent en dialogue avec une série d’expériences issues des cours de physique expérimentale de l’université: chambre à brouillard, ferrofluides, larmes bataviques, origamis capillaires… Soulignant les points de rencontre entre processus créatif et méthodes scientifiques, cette confrontation révèle avant tout une coïncidence d’attitudes: une curiosité gratuite, le goût pour la manipulation, une pratique ancrée dans le réel, un esprit ouvert à l’imprévisible.

Ayant pour objet les lois de la nature, la pensée scientifique tente de dégager les relations constantes entre les phénomènes; ainsi, sans toujours renoncer à la question du «pourquoi», elle tend avant tout à se focaliser sur le « comment ».
L’Angoisse de la page blanche (2007), de l’artiste israélien Ariel Schlesinger, apparaît comme une forme allégorique de ce questionnement. Deux feuilles de papier A4, blanches, glissent l’une contre l’autre dans un lent mouvement de rotation, s’adonnant à une chorégraphie à la fois dérisoire et fascinante. Quel est le secret de leur équilibre ?
L’agencement est très simple en réalité et l’on peut, par curiosité, se  pencher pour observer sous la planche de bois qui leur sert de scène, un petit moteur orchestrant leur rotation. Cet événement discret s’impose par la fragilité et la poésie qui l’animent comme l’une des œuvres les plus marquantes de l’exposition. Le mouvement de deux feuilles blanches, contrôlé par l’arrangement d’un simple fil de fer évitant le dérèglement de leur petite danse de fortune, porte à s’émerveiller d’un simple bricolage.

La manipulation libre propre aux méthodes expérimentales se profile dans l’exposition Sciences Versus Fiction selon la forme d’un processus créatif, alors que les œuvres d’art, à l’inverse, sembleraient suivre la trame de protocoles scientifiques. L’estompe de la démarcation entre les champs artistiques et scientifiques vient révéler un répertoire de formes fantasmées, sources d’inspiration multiples éveillant une curiosité naïve ou érudite, une fascination gratuite ou savante.
Little Travelling (2008) de Vincent Mauger consiste en un dispositif bricolé filmant le sol de l’espace d’exposition pour en retranscrire une image lunaire sur un écran situé au fond de l’espace. Cet imaginaire de sciences fiction, produit par un simple dispositif rafistolé, entre en résonance avec l’œuvre de Tobias Putrih dont est tiré le titre de l’exposition, Sciences versus Fiction (2002): un imagier désuet confrontant diverses formes scientifiques et figures de fiction.

Au centre, Galatean Heritage. Performing a Bachelorette’s Birth (2007) se présente comme une étrange machine issue de l’industrie textile, reconstituée par l’artiste autrichienne Judith Fegerl sur les conseils d’un ingénieur. Suivant un mouvement de rotation ralenti à l’extrême, la tête de la machine produit une longue manche de fil blanc s’enroulant sur elle-même pour adopter la forme organique d’un cordon ombilical.
L’œuvre, mise en marche pour la durée de l’exposition, donnera naissance à un objet insolite dénommé Amnion – le mot désigne la membrane protégeant l’embryon des vertébrés -, constitué de l’ouvrage achevé recouvert d’une légère couche de cire. Le mécanisme de tissage, de nature industrielle, s’animerait ainsi d’un mouvement naturel, biologique.
Evoquant par son titre le mythe de Galathée (Ovide, Les Métamorphoses), la machine hybride de Judith Fegerl semble accueillir la possibilité d’un processus organique de procréation — l’ouvrier textile, exaucée par l’artiste/Aphrodite, donnerait vie à son plus bel ouvrage.
 
Décloisonnant les champs de l’art, des sciences, de l’architecture et de l’urbanisme, l’exposition Sciences Versus Fiction cristallise de multiples questionnements dont le point de convergence serait l’imagination créatrice. Par sa diversité, l’exposition évoque l’essor actuel des sciences cognitives, réunissant dans un même champ d’étude perception, langage, raisonnement et conscience.

Michel Paysant
—  Denkraum B/G, 2006. Plexiglas, marbre, bois, plante, tubes fluorescents. 80 x 32 x 18 cm

Ariel Schlesinger
—  L’Angoisse de la page blanche, 2007. Feuille de papier, contreplaqué, cannettes

Christophe Berdaguer et Marie Péjus
—  Psychoarchitecture, 2008. Résine, stéréolithographie. 24 x 37 x 28 cm

Judith Fegerl
—  Galatean Heritage. Performing a Bachelorette’s Birth, 2007. Installation, machine, processus sculptural. Dimensions variables

Vincent Mauger
—  Château Millésime, 2009. Sculpture, éléments en polystyrène et colle

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