Depuis plusieurs années, Philippe Durand élabore des séries photographiques qui tentent de canaliser quelque peu les déferlantes d’images. Pas les plus spectaculaires, ni les plus bruyantes, les autres, celles qui contaminent insidieusement le réel. Les séries s’élaborent souvent à partir d’un territoire, un espace « décisif », comme il en est des instants pour le reportage. À l’Atelier du CNP, il s’agit de l’agglomération d’Annecy.
La photographie donc, mais à laquelle l’artiste n’hésite pas d’infliger des traitements bien irrévérencieux. En la coulant dans du plastique, par exemple.
Ici, c’est un recoin de zone commerciale, perclus de couleurs criardes, qui est remodelé en trois lais, détachés du mur, façon déco plastique des années soixante-dix. Là , ce sont des prélèvements de détails sans conséquence, gonflés en photos thermoformées : un relief plastique y surajoute des boursouflures, comme de la mauvaise graisse moulée dans de la fringue de pacotille, à des poteaux, des cailloux, des barrières… Bref, rien de bien remarquable.
Ne se satisfaisant pas d’extraire des incongruités d’une banalité et d’une vacuité affligeante, provoquées par la superposition des micro-aménagements de l’espace, et du visible, dans des zones urbaines de plus en plus standardisées, Durand les élève au rang d’icônes dignes de figurer au-dessus du buffet de la salle à manger, comme les chromos d’antan d’une mythique « Savoie éternelle ». Il est vrai que le lac demeure, immobile et laiteux, dans un cliché fleurant la nostalgie du révolu, sur lequel défilent en néon rouge, vulgaires ou poétiques, des mots aussi incongrus que « diagnostique », « contrôle », et « vidange ».
L’éternité, dont on sait la défaite, est malicieusement retournée en une ubiquité, offerte par l’uniformisation du visible, belle et bien conquérante. Qu’advient-il de la perception, et du sens, du monde, dans ce brouillage généralisé ?
Une poubelle-container, verte écolo, est ronde et joufflue, comme un ballon: ses designers n’ont rien trouvé de mieux que d’y esquisser les silhouettes stylisées des cinq continents. Et là , aux sources de l’Amazone, est fiché un appel délavé à la « libération des prisonniers palestiniens », auquel rien, sur ce morne parking, ne peut faire écho.
Philippe Durand
— Série « Mon Grand Épagny », 2003. Photos couleur thermoformées :
poteau/haie, cailloux/trottoirs, herbe/chalet, parpaings/cailloux, gazon/trottoir, barrière/cailloux, poteau/container
— Merci, 2003. Photo couleur.
— Opolis, 2003. Photo couleur.
— Lac atone, 2003. Installation : photo couleur imprimée sur toile et vidéoprojecteur. Dimensions variables.
— Désolé…, 2002. Photo couleur.