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Sauvagerie sans nom

25 Avr - 15 Juin 2013
Vernissage le 25 Avr 2013

La logique de l’œuvre de Marie Cool et Fabio Balducci est une énigme qui ne se résout pas dans une définition. Il s’agit d’une éthique qui s’édifie geste après geste à travers une sociabilité qui pourrait se formuler ainsi: à quelle distance dois-je me tenir des autres pour construire un «vivre ensemble» sans aliénation et une solitude sans exil?

Marie Cool et Fabio Balducci
Sauvagerie sans nom

La logique globale de l’œuvre de Marie Cool et Fabio Balducci est une énigme qui ne se résout pas dans une définition. Il s’agit d’une éthique personnelle qui s’édifie geste après geste à travers une sociabilité très particulière qui pourrait se formuler ainsi: à quelle distance dois-je me tenir des autres pour construire un «vivre ensemble» sans aliénation et une solitude sans exil? Les actions et ce qui en découle (objets non manipulés ou dessins au sens élargi) ne donnent pas la réponse. Ces formes racontent une vie disciplinée et autarcique, qui rejoint celles et ceux dont les désirs s’enchaînent au paradoxe de la liberté sans entraves, pour privilégier le Libre Esprit, affranchi et désencombré de lui-même.

Marie Cool n’est pas une apparition incorporelle. La plénitude et la tolérance qui émanent de sa personne, cette lente remontée vers un lointain profond, intime, secret, lorsqu’elle accomplit patiemment son programme de gestes, n’est pas seulement un vœu d’indépendance ou la manifestation d’une puissante vibration spirituelle. C’est aussi une manière de venir hanter un monde aux normes inatteignables, où les préjugés dominants s’évertuent à condamner la versatilité, comme si on ne pouvait pas cultiver plusieurs champs, avec des moyens réduits, en même temps.
Dans le paysage social, la discipline que Marie Cool s’impose résiste à l’esprit qui boursicote en faveur du progrès et spécule sur un avenir rentable. Marie Cool et Fabio Balducci sont loin de défendre un code unique, totalement fantasmé, qui distribuerait le monde. C’est l’ensemble des phénomènes qui les intéressent, dans le sens où ces derniers ne créent pas de catégories, mais permettent de se déplacer à son gré, sans craindre d’être récupéré par un courant ou une idéologie en particulier.

Le corps peut-il encore aujourd’hui rappeler l’Homme aux choses spirituelles? Marie Cool et Fabio Balducci ne renient pas le surnaturel dans l’aspect visible et familier des choses, mais semblent privilégier un sens du sacré dans la rencontre entre une rêverie intérieure et ce que l’on appelle le quotidien. Que ce soit dans le psychédélisme lent teinté de baroque des œuvres sur papier ou avec les tables dressées à l’aide d’objets-outils (règle, pelote de fil, crayon, verre d’eau, assiette, rouleau de scotch, etc), chaque élément semble réagir à la fois dans le temps, mais aussi dans une sorte d’éternité, intégrant dans leur apparente fixité la mémoire d’une gestuelle quotidienne, composée de permutations et fondée sur des correspondances unissant macrocosme et microcosme.

La représentation de la main traverse tout le travail des artistes. Ce n’est pas seulement la main de Marie Cool dont il est question, mais de mains de plus en plus nombreuses, qui ajoutent à l’artisanat d’un style et se posent contre la mystification de la maîtrise, de la persuasion et de la «théorie». Régulièrement, les artistes font appel à des demandeurs d’emploi, auxquelles ils transmettent un programme de gestes pour toute la durée de l’exposition. Par l’intermédiaire de la structure qui les accueille, ils créent un poste qui ne demande ni formation, ni intention. Les tables, dans leur version «inactive» ne le sont jamais tout-à-fait. Le spectateur familiarisé avec le «live» et les vidéos n’aura aucune difficulté à accompagner mentalement les mouvements inscrits dans l’organisation des objets.

C’est toujours vers les esprits les plus indépendants que leur affection se porte, mais il ne s’agit pas de courir après un modèle ou de se penser comme les héritiers de figures emblématiques de la marginalité. C’est leur perception du monde qui les a conduits inévitablement sur les traces de quelques ennemis publics.

Ainsi, parmi les moins connus, on retiendra le sort de Marguerite Porete, béguine de la première heure et auteure au Moyen-âge d’un livre unique au titre d’une extrême délicatesse: Le miroir des âmes simples et anéanties. Son livre fut brûlé en 1306 et elle fut condamnée au bûcher pour hérésie par les autorités ecclésiastiques, choquées de ses audaces et, plus particulièrement, de son éloge de l’accomplissement religieux personnel, hors du contrôle ecclésial. Bien que Marie Cool et Fabio Balducci ne soient pas des luddites contemporains, leur programme est un manifeste de lutte sociale qui s’appuie sur le silence et la connivence développés par les travailleurs anglais du XVIIIe siècle, en révolte contre l’ouvrage bâclé, brisant des machines et refusant ainsi les contraintes qui vont de pair avec le développement technologique.

De quelque manière que ce soit, on assiste à la diffusion de ce qui fut longtemps perçu comme une puissance active, agressive, rongeante et incontrôlable: une aventure psychique, qui ne s’interrompt pas avec le travail manuel, mais poursuit, avec détermination, le vertigineux dialogue de la conscience avec son propre vide. L’homme laborieux oui, mais doué pour le vide, doué pour la liberté.

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