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Sarkis : Ikones

Des icônes, entre héritage et modernité. Des œuvres aux racines byzantines qui interrogent dans leur nom même le statut de l’image. 150 cadres récupérés, retravaillés à l’aquarelle, écrins précieux d’une œuvre intimiste, reliquaires du culte de Sarkis rendu à l’œuvre d’art.

— Éditeur : École nationale supérieure des Beaux-Arts, Paris
— Année : 2002
— Format : 22,50 x 16,50 cm
— Illustrations : nombreuses, en couleurs
— Pages : 176
— Langue(s) : français
— ISBN : 2-84056-124-7
— Prix : 20 €

Voir l’annonce de l’exposition de Sarkis « Ikones dans la chapelle»

Sarkis : sous le regard des icônes
par Henry-Claude Cousseau (extrait, p. 7 à 8)

La pensée de Sarkis est, par essence, de nature dramatique. Elle prend constamment appui sur le ressort d’une action supposée, conjecturale, qui vient de s’accomplir, d’un événement dont on présage le surgissement imminent, d’une transformation interne mais voilée, d’un processus encore invisible, mais que l’œuvre, dans la propriété de sa configuration, est chargée de transmettre et de rendre perceptible. Spéculant sur un sentiment d’attente, de suspension temporelle, d’avènement possible, ses installations, (mais aussi ses photographies, ses aquarelles, ses dessins, ses films…) qu’elles soient laconiques, concises, monumentales ou illimitées, en appellent depuis toujours, et quelqu’en soit le contexte, à une théâtralisation inéluctable. Celle-ci prend aujourd’hui, à la lumière des réalisations récentes de l’artiste, qui mêlent tout à la fois le jeu à la parade, les défilés aux mascarades et aux déguisements, le bonheur des commencements à la menace latente de leur fin, la joie de l’enfance à sa fragilité et sa disparition, la plénitude de son sens et une dimension nouvelle.

Les installations de Sarkis se jouent en effet invariablement sur une scène qui leur confère la mobilité, la mouvance, mais aussi la vulnérabilité et le caractère unique d’une performance. Muettes ou hiératiques, à la limite de la ritualisation sacrale, gorgées de leur propre impact, mystérieuses, volontiers énigmatiques, baignant souvent dans un halo musical et sonore, ou résolument gagnées par la jubilation des phosphorescences de la couleur comme aujourd’hui, les œuvres de Sarkis (qui sait comme nul autre, maîtriser à sa guise la magie du mouvement, du son, ou de l’incandescence lumineuse) sont dorénavant engagées dans une chorégraphie perpétuelle, dans un mouvement ouvert à la profondeur de l’infini. Le musicien et le cinéaste qui cohabitent en lui sont désormais réunis, connaissant tous les sens et tous les détours de l’écoulement des flux de la partition ou du scénario, de ce parcours qui ne tire son sens que de ce qui, en le jalonnant, le constitue : les silences, l’éclat des timbres, les rythmes, les ralentis, les arrêts, les accélérations et les points d’orgue.

La fluidité à l’œuvre dans son travail n’est pas seulement perceptible dans la merveilleuse utilisation qu’il fait depuis de longues années, comme préliminaire à toute réalisation, de l’aquarelle. Celle-ci s’est systématisée au début des années 1980 jusqu’à constituer, à partir de 1985, un domaine pour ainsi dire autonome. Instrument privilégié de l’élaboration de ses œuvres, la feuille où l’aquarelle s’étale, a quelque chose à voir — comme l’a judicieusement remarqué Roland Recht [« Les Films de Sarkis », Roland Recht, Sarkis 103 aquarelles, Strasbourg, Nantes, 1989, p. 5] — avec le papier révélateur dans la photographie, lanteme (ou laboratoire) magique qui prête aussi par la ductilité de sa technique à des variations et des improvisations qui stimulent sans cesse l’imagination du créateur et le poussent aussi dans les méandres les plus reculés de sa mémoire. Dans la fascinante série des films réalisés en 1998 dans l’atelier de Calder à Saché, Sarkis parvient à donner à l’événement anodin et méticuleux de la rencontre entre un pinceau (ou un doigt) chargé de pigment et l’eau, le caractère d’un cérémonial où la poésie de la délicate alchimie aléatoire des éléments le dispute à la dimension d’une démiurgie littéralement cosmogonique. Mais cette même fluidité, cette même alchimie, sont aussi reconnaissables dans les configurations associatives qui règlent secrètement ces assemblages de sens, de matières, de signes et de références culturelles que sont les installations, où rien n’échappe à la volonté de faire parler, converser (pour reprendre ses propres expressions) entre eux, les objets qui les composent, de les relier par la solidité d’un fil incorruptible comme un éclair lumineux, connu de lui seul, de nature souvent autobiographique, et qui tend à montrer la continuité dans laquelle l’artiste se nourrit, au gré de son destin, des fragments successifs que le monde met à sa portée.

Cet art de la mobilité, de la transformation, qui est aussi celui de la pulsation vitale et du souffle, provoque chez Sarkis d’étonnants paradoxes. Dans une récente installation au Musée d’art contemporain de Lyon [« Le monde est illisible, mon cœur si », fév.-mai 2002, exposition structurée en trois scènes : La Brûlure, L’Espace de musique, L’Ouverture] la particularité de l’environnement musical amenait de façon saisissante l’auditeur à percevoir littéralement ce dernier comme du silence, silence en quelque sorte matérialisé, figuré, par son antidote, le son, tandis que le dernier scénario de l’exposition, jouant sur une élimination progressive des éléments qui la constituaient au profit de la mise en place d’une immense soufflerie, conduisait à produire non pas une oppressante obstruction spatiale mais, à rebours, par une efficace mise en scène de l’absence, un vide et une vacuité démesurés.

(Texte publié avec l’aimable autorisation des éditions de l’Ensba)

L’artiste
Sarkis, né à Istanbul en 1938, d’origine arménienne, a fait des études d’architecture intérieure à l’Académie des beaux-arts d’Istanbul. En 1964, il s’installe à Paris et obtient en 1967 le Prix de Peinture de la Biennale de Paris. En 1968, il commence à réaliser des installations et des objets. À partir de 1976, il entame le cycle des Kriegsschatz (Trésor de guerre) où des objets, arrachés à leur contexte, sont les « protagonistes actifs » de ses installations. Dans les années 1980, il monte le Département de l’Art à l’École des Arts décoratifs de Strasbourg et est directeur de séminaire à l’Institut des Hautes Études en art plastiques à Paris. Depuis les années 1990, de nombreuses expositions lui sont consacrées. En 2001, il crée des vitraux pour l’abbaye de Silvacane, sur commande du ministère de la Culture et de la Communication.

L’auteur
Henry-Claude Cousseau, conservateur général du Patrimoine, est directeur de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris depuis septembre 2000. Il a été successivement conservateur des Musées de la Vendée (1973-1976), du musée de l’Abbaye Sainte-Croix des Sables d’Olonne (1976-1982), conservateur pour le XXe siècle à l’Inspection générale des musées de Province, Direction des musées de France (1982-1985), directeur du musée des Beaux-Arts de Nantes puis des musées de la Ville de Nantes (19851994), Chef de l’Inspection générale des musées de France (1994-1996), directeur du CapcMusée d’Art contemporain de Bordeaux et des musées de Bordeaux (1996-2000). Il a mené depuis toujours une importante réflexion sur l’art du XXe siècle, à la fois sur l’art moderne et sur la création contemporaine. Il a organisé plus d’une centaine d’expositions et réalisé d’importantes acquisitions. Henry-Claude Cousseau est auteur de plusieurs livres, dont L’Œuvre graphique de Gaston Chaissac 1910-1964 (Paris : Jacques Damase, 1982), Daniel Dezeuze (Paris : SMI, 1989), Hélion (Paris : Éd. du Regard, 1992).

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