Miriam Cahn
Sarajevoarbeit/Le Travail Sarajevo
Quand as-tu commencé à travailler sur Sarajevo? Et pour quelles raisons?
Dès le début de cette guerre je travaillais, comme j’avais toujours travaillé, en intégrant ce qui ce passait dans le monde. Mais j’avais aussi, depuis quelque temps, l’impression de devoir changer ma façon de travailler, j’avais l’impression d’une routine, de savoir trop bien comment mon travail fonctionnait — l’ennui du travail. C’était aussi la première «nouvelle» guerre après la «guerre froide» (= das gleichgewicht des schreckens = l’équilibre de la peur/terreur) et la première guerre en Europe après 1945, presque chez nous. Je regardais la télé et je voyais des gens comme nous, courir avec leur sac en plastique, de leurs supermarchés, comme Migros ou Aldi, par une rue qui ressemblait à la Kleinhüningerstrasse*. Ils couraient, parce que des snipers leur tiraient dessus. Cela m’a fait prendre conscience du caractère différent de toutes les autres images de guerres que j’avais déjà vues à la télé: même si celles-ci pouvaient êtres bien plus brutales, elles étaient plus lointaines, abstraites, images de la télé…
Mon travail changeait: il devint complètement basique, simple, faits de petits dessins, avec des matériaux pauvres, comme si je recommençais à zéro, et que je ne croyais vraiment plus à rien. Comment faire, s’il y avait de nouveau des camps de concentration en Europe, pas chez les autres, mais ici, chez nous. Alors, je retournais à ma table, comme au début avec des crayons…
En 1995, tu es invitée à participer à un projet à Sarajevo. Combien de temps y as-tu passé? Est-ce que ce séjour a changé ton appréhension du conflit?
Obala-center avait comme politique culturelle la normalité, ce qui voulait dire (de manière très simplifié) «m’enfiche la guerre, m’enfiche que les Tchetniks veulent bomber Sarajevo et faire d’une ville multiethnique et internationale un patelin ethnique, m’enfiche de toute façon cette idée de la culture nationale, nous, on fait un festival international du film et des expositions avec des artistes internationaux».
Alors ils m’ont invitée, ce qui me touche encore aujourd’hui… La normalité, cela voulait dire que la directrice est venue me voir dans mon atelier à Bâle, nous avons choisi ensemble les travaux, et je les ai envoyés à Sarajevo. J’y suis allée une semaine, j’ai installé mon expo, comme toujours on a fait un vernissage, et voilà .
Comme la ville de Sarajevo était en état de siège, la normalité était assez compliquée. Et je me retrouvais dans la situation d’avoir vu assez juste sur cette guerre.
Sarajevoarbeit ou Travail Sarajevo: combien d’années as-tu travaillé autour de ce conflit? Existe-t-il des oeuvres récentes liées à ce thème?
J’ai travaillé sur Sarajevo pendant la durée du conflit, à peu de choses près. Je dirais que toute la discussion, mal faite en Europe, autour de l’islam (la discussion «burkas et minarets») n’est pas seulement, mais aussi liée à ce premier conflit aux Balkans. Quelques travaux dans mon travail sont liés à ce thème jusqu’à aujourd’hui.
Sarajevoarbeit représente un pan important dans ton oeuvre; pourquoi avoir choisi de tout montrer?
Chaque fois que je suis à Bâle et que je regarde la table provisoire roulante avec tous les Sarajevos, je me dis que j’ai, encore plus qu’avec d’autres travaux, une grande difficulté à choisir. C’était toujours et à chaque fois, avec ce travail une «sélection» de ma part presque impossible. Peut-être que c’est exactement le mot: sélection, qui, dans le cas Sarajevo, a un double sens très désagréable (= selektion). Peut-être que c’est cela, mais aussi que je ne peux pas vraiment choisir ce qui, pour moi, est un tout sans être pensé comme une room-installation.
* Kleinhüningerstrasse: rue de Bâle (Suisse), proche de l’endroit où vit l’artiste.
critique
Sarajevoarbeit/Le Travail Sarajevo