Zilvinas Kempinas présente une installation Airborne (2008) déclinée de l’appareillage vidéographique dont il n’a conservé que la bande magnétique sous la forme un cercle vide, aussi grand que la salle d’exposition, soumise à l’activité de deux ventilateurs suspendus au plafond.
Cette installation poétique est marquée du signe de la légèreté. L’esthétique annule l’utilité technique. Extraite de son boîtier, la bande serait libre comme l’air si elle n’était pas soumise à l’effet d’un champ magnétique. Dès qu’on s’en approche, elle se colle à nos vêtements, il faut alors la retirer soigneusement du bout des doigts.
La scénographie dialogique est pleine de contradictions, entre l’image et le son, la mobilité et l’immobilité, l’électricité naturelle et artificielle, le fait de faire corps avec ou de se tenir à l’écart.
Zilvinas Kempinas présente le mouvement comme une chose aussi simple que la caresse d’une brise sur la légèreté d’une feuille. Il en montre l’essentiel, exalte notre fascination pour des phénomènes libres de toute interprétation scientifique.
Le court métrage The Dub Effect que Daimantas Narkevicius a réalisé en 2008 est composé de deux temps forts. Au commencement un ancien officier de l’armée soviétique joue une scène protocolaire de lancement d’un missile type R-14.
Il ajuste son uniforme devant un miroir, qui lui donne un air solennel, redoublé par l’austérité du mobilier et du décor. Seul face à lui-même, il s’apprête à se rendre à son lieu de travail. A son bureau, il prépare ses affaires, chacun de ses gestes est accompli à la mesure d’un rituel. Puis à l’abri d’une fenêtre, il décroche un téléphone afin de donner l’ordre de lancement. Les rayonnements envahissent son champ de vue et le souffle sature son environnement sonore. Après l’ordre advient le chaos.
A partir de là , Daimantas Narkevicius ne met plus en scène, il laisse aller sa caméra à travers les ruines d’une base abandonnée, comme pour en appeler aux consciences au moyen du choc des images.
Le néant règne, il ne reste plus âme qui vive, juste des blockhaus en béton troué, du métal rouillé, et des éléments de végétation qui reprend.
Daimantas Narkevicius a intégré au montage des images d’archives, et a fait jouer un acteur non-professionnel, ce qui fait de The Dub Effect un «docufiction», d’ailleurs inspiré de The War Game de Peter Watkins, l’un des pères du «docudrama».
L’intérêt consiste à entrer en dialogue avec le spectateur, d’instaurer une ambivalence entre réalité et fiction, d’en déséquilibrer les enjeux. Les armes nucléaires sèment encore la peur, peut-être moins d’un point de vue militaire que politique.
Zilvinas Kempinas et Daimantas Narkevicius travaillent le même médium, mais selon des démarches différentes. Toutefois, tous deux prennent des distances avec les avancées technologiques du XXe siècle. Zilvinas Kempinas rappelle le mouvement naturel des éléments porteur de la fantasmagorie du septième art, loin des effets spéciaux actuels. Daimantas Narkevicius creuse son sujet pour en dévoiler les risques et susciter les réactions. La légèreté de l’un et la gravité de l’autre convergent dans le fait de déstabiliser notre perception.
— Zilvinas Kempinas, Airborne, 2008. Bande magnétique, deux ventilateurs. Dimensions variables.
— Daimantas Narkevicius, The Dub Effect, 2008, Film 16 mm transféré sur vidéo HD, noir & blanc et couleur, son (V.O. russe, sous-titre anglais). 15 mn 40.