Patrick Faigenbaum est «un photographe de la lenteur». Minutieusement, tel un peintre, il prépare sa «palette» photographique, sélectionne objectifs et focales, apprivoise son sujet du coin de l’œil et compose patiemment le cadre, attendant le moment précis où la scène prendra sa forme définitive, révèlera sa vérité propre. Des préliminaires amoureux qui confèrent à ses photographies une dimension intemporelle, comme si les hommes et les paysages se figeaient en «un rêve de pierre» baudelairien; devenaient sculpture, éclairés par la lumière en oblique d’un Vermeer, sublimés par le clair-obscur subtil des toiles de Rembrandt.
Car, incontestablement, l’artiste français puise son inspiration dans la peinture classique. Sa prédilection pour les natures mortes et les portraits comme sa maîtrise de la composition, des effets de couleur et de texture en témoignent. Au point que sa photographie en retire une certaine physicalité, qui rend presque palpable le velouté des feuilles de ses Artichauts ou la rugosité des bogues de Châtaignes, grenades et pommes de pin.
Mais, si le linge immaculé de Raisins et Figues, véritable capteur de lumière, fait songer à la Nature morte à la bouilloire de Cézanne et le regard d’Angela à celui des vierges de Leonardo de Vinci ou de Botticelli, ses œuvres gardent la singularité du medium photographique et sa portée documentaire.
Comme Eugène Atget, August Sander, Walkers Evans, et plus récemment Jeff Wall, Patrick Faigenbaum met son savoir-faire technique au service d’une certaine vision de l’homme et de son environnement. Selon lui, l’aspect esthétique de l’œuvre n’est pas un obstacle pour s’emparer du réel et dresser un portrait de ses contemporains, bien au contraire. «Plus l’image est construite et élaborée, nous dit-il, plus le projet documentaire est visible».
C’est ainsi qu’il parvient à capter, en dix ans, de 1998 à 2008, l’âme de la petite bourgade sarde de Santa Lussurgiu : la quiétude désuète de ses rues, rythmées par les activités agricoles et les courses de chevaux, les scènes de vie banales où se glissent subrepticement, dans la distance qui sépare le premier de l’arrière plan, le cadre de son sujet, le présage des solitudes et des rudesses de la vie rurale. Avec un réalisme dénué de pathos, le photographe contourne le pittoresque, comme à la recherche des ambivalences, nous introduisant sans brutalité, par un plan rapproché ou un angle particulier, dans l’intimité d’un lieu, d’un vécu.
Chez Patrick Faigenbaum, plus qu’ailleurs, la mélancolie propre à la photographie — «sorte de plongée brusque dans la Mort littérale» d’après Barthes —, celle provoquée par la sensation de perte irrévocable d’un instant qui appartient déjà au passé, est renforcée par l’attitude des personnages. Absorbés, comme absents au monde, ils appartiennent à ce futur antérieur redouté par l’auteur de la Chambre claire, gage d’une disparition annoncée. Quelque chose dans leur regard, dans leur posture signe ce retrait, les enveloppant d’un mystère funèbre. Et Jusque dans l’inanimé — pommes de terre, rondins de bois, cailloux —, les clichés de Patrick Faigenbaum semblent contenir une interrogation sur l’être, dotant la photographie documentaire d’un véritable pouvoir métaphysique.
Patrick Faigenbaum
— Salvatorica et Angela, Santulussurgiu, 2001. C-print. 101 x 101 cm.
— Avant le départ de l’ ardia de San Lussorio, Santulussurgiu, août 2007. C-print. 111,5 x 89,5 cm.
— Nuraghe de Santa Cristina Paulilatino, 2008. Tirage en noir et blanc sur papier barytée chrorobromée satiné. 91,5 x 117 cm.
— Pêches, prunes et citron, Santulussurgiu, 2005. C-print. 81 x 68 cm.
— Raisins et figues, Santulussurgiu, 2005. C-print. 83 x 66,5 cm.
— Mura Zedda, Santulussurgiu, 2006. C-print. 112 x 128,5 cm.
— Pommes de pin. Santulussurgiu, 2005. C-print. 66,5 x 85 cm.
— Châtaignes, grenades et pommes de pin, Santulussurgiu, 2006. C-print. 65,5 x 82 cm.
— Remise à bois, Santulussurgiu, 2007. C-print. 124,5 x 102 cm.
— Salvatorica, Santulussurgiu, 2005. C-print. 133 x 103,5 cm.
— Raphaël, Santulussurgiu, 2006. Triage en noir et blanc sur papier barytée chrorobromée satiné. 117 x 91,5 cm.
— Pommes de terre, Santulussurgiu, 2007. C-print. 74 x 92 cm.
— Artichauts, Santulussurgiu, 2005. C-print. 68 x 82 cm.
— Raphaël, Santulussurgiu, 2006. C-print. 122 x 98 cm.
— Chicco, Su Ludrau, Santulussurgiu, 2007. C-print. 122 x 98 cm.
— Raphaël, Piazza San Pietro, Santulussurgiu, 2008. C-print. 133 x 106 cm.
— Matziscula, Santulussurgiu, 2007. C-print. 91 x 113,5 cm.
— Pendant la course de chevaux du carnaval, Santulussurgiu, 2008. C-print. 137,5 x 109,5 cm.
— Pêches, prunes et citron, Santulussurgiu, 2005. C-print. 81 x 68 cm.
— Angela, Santulussurgiu, 1995. Tirage en noir et blanc sur papier barytée chrorobromée satiné. 85 x 65,5 cm.