Communiqué de presse
Marie Cool et Fabio Balducci
Sans titre – 2003
La révolte de la matière et l’insurrection des formes
Si la feuille de papier sur laquelle ce texte est imprimé est le produit d’une industrie, son format est alors l’expression d’un standard défini pour son usage commun.
Si le cadre de la porte qui mène à l’espace d’exposition délimite une largeur et une hauteur pour y pénétrer ou pour y faire pénétrer quelque chose, c’est qu’il manifeste l’usage public, domestique ou technique, des lieux.
Enfin, si l’espace lui-même dans ses mensurations place le corps du visiteur dans un rapport d’échelle proportionné ou disproportionné relativement à sa taille, c’est bien que l’architecture est un langage qui conditionne nos comportements.
Certains dans la société s’investissent au service d’un ordre matériel et formel, ils définissent par exemple le format standard d’un papier A4, la géométrie des portes ou l’architecture des espaces.
D’autres comme Marie Cool et Fabio Balducci se destinent à la révolte de la matière et à celle des formes. Les premiers obéissent à un régime de visibilité qui affirme le caractère fini des choses.
Ils participent au règne du produit qui s’offre comme une totalité sans marge ni revers. Les seconds travaillent sur les bords occultés de ces produits finis pour donner à leurs contours dépréciés une forme de présence.
Ce qui est visible dans l’exposition de Marie Cool et Fabio Balducci n’est pas seulement ce qui est présent, comme c’est le cas chez les démonstrateurs d’ustensiles ménagers ou de bricolage installés à la marge des grands magasins.
L’exercice de répétition infinie sur un objet n’est pas simplement en vue d’imposer son usage unique. Si en effet le geste précis et calculé de Marie Cool entretient des liens qui se répartissent à égalité entre celui du danseur et celui de l’ouvrier à la chaine, c’est pour exprimer à l’un comme à l’autre autant sa dissonance que sa familiarité.
La différence du geste de Marie Cool avec celui d’un danseur réside dans l’affirmation de sa proximité avec le geste de l’ouvrier. La différence du geste de l’artiste avec celui de l’ouvrier se situe dans l’insubordination de ce geste à un usage particulier.
Il serait trop simple d’en rester là et à vrai dire si le travail de Marie Cool et Fabio Balducci se résumait à cela, il n’aurait alors que l’intérêt de renouveler et poursuivre des pratiques déjà expérimentées par le passé.
Ce qui caractérise le travail de ces deux artistes, c’est en effet de poursuivre d’une autre façon la stratégie de l’exercice imprimé à la matière et que la matière en retour imprime au corps, employée par exemple par Franz Erhard Walther dans son oeuvre Werksatz (1963 – 1969).
Ce qui singularise l’oeuvre de Marie Cool et Fabio Balducci, c’est aussi de réinvestir dans un autre registre la répétition infligée au geste du peintre, caractéristique de l’oeuvre de Niele Toroni. C’est de redistribuer à d’autres parties du corps, la pratique plastique élémentaire du piéton en déplacement, propre à Stanley Brouwn. Mais ces références ne suffisent plus pour faire preuve de solidarité envers l’agent sur la chaîne de montage des années 70 ou l’opérateur sur plateforme téléphonique actuel.
Car ce qui démarque surtout le travail de Marie Cool et Fabio Balducci, par rapport aux enjeux de leurs prédécesseurs, ce qui les rapproche aussi de leur contemporain (Santiago Sierra, Prinz Gholam, Vigier & Apertet ou François Laroche-Valière), c’est de défaire l’illusion d’un corps fini et accessible comme une totalité, c’est d’affirmer une dépendance autant mentale que physique et d’exposer la réciprocité entre l’homme et la matière.
La feuille de papier, la table, le fil de coton, l’encadrement de la porte, les limites de la pièce, parfois le bord de la fenêtre découpent le corps en action de Marie Cool. Son corps se divise souvent verticalement et symétriquement, mais pas systématiquement, il est parfois coupé en deux horizontalement par le plateau d’une table qui marginalise l’usage de ses jambes.
Ce travail de morcellement des membres en action, de réversibilité entre une main et une feuille au format A4 affirme une interdépendance. Le trouble instauré par la durée de l’exercice et la multiplication des séquences entame une révolution de la matière.
Est-ce la main qui conduit la feuille en mouvement, qui suit le fil de coton se consumant ? Ou bien est-ce le contraire ? La durée d’exposition dissout le corps de Marie Cool dans un environnement matériel en rompant avec la stature d’un personnage de spectacle.
Le retrait physique de Fabio Balducci manifeste la présence en creux qui hante et contrôle les objets comme les trajectoires de chacun des gestes de Marie Cool. L’exercice se déroule en l’absence du visiteur comme après son passage.
Chez Marie Cool et Fabio Balducci, ce n’est pas la déconstruction des actes qui conduit à une révolte de la matière et à une insurrection des formes, c’est la réitération de ces actes dans une absolue apathie.
La négation du spectateur, l’absence exposée de Fabio Balducci, l’absorbement de Marie Cool dans sa tache, rappellent les stratégies antithéâtrales adoptées dans la peinture française du XVIIIe siècle et décrites en détails par Diderot dans ses Salons: absorbement des personnages, figures placées de dos, décentrement des scènes, autant de tactiques antithéâtrales en vue de nier la présence du spectateur face à la toile.
L’exercice de Marie Cool rappelle tout autant la notion de « Task » (tâche) définie par Anna Halprin qui introduit dès la fin des années 50 des gestes quotidiens travaillés en boucle sur le plateau de danse ou les « Entracte »de Odile Duboc dans les années 70 qui à l’inverse immerge ces gestes simples, répétés à l’excès par des danseurs, dans le mouvement urbain.
Les peintres en négligeant la présence du spectateur souhaitaient, selon Diderot, montrer autant le sujet peint que le sujet de la peinture, les chorégraphes cherchaient à présenter autant le corps social que la danse. Marie Cool et Fabio Balducci s’appuient sur cette tradition pour en réactualiser les enjeux.
Ils présentent une forme et une matière en vie autant qu’une vie de la forme et de la matière. Cette tradition vise à déconditionner le regard du spectateur en le prenant de revers, dans l’espoir que de ce regard même son nom disparaisse au bénéfice d’un nouveau nom qui comme nous le montre l’histoire ne sera qu’en sursis.
Vernissage
Samedi 12 septembre 2009. 16h-20h.
Informations pratiques
Mardi-Vendredi. 14h30-19h.
Samedi. 14h-19h.