La Galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois consacre, pour la troisième fois, une rétrospective à Jacques Villeglé. Au rythme d’une exposition tous les deux ans, elle a pour projet de montrer l’ensemble du catalogue raisonné de ce membre fondateur des Nouveaux Réalistes.
Dans le catalogue raisonné de 1970, Jacques Villeglé avait organisé son œuvre selon douze thèmes « pour mettre un peu d’ordre dans ce chaos » de plus de 4000 affiches. Parmi les thèmes on trouve « La Lettre lacérée », « Politique », « Mai 68 », « Dripping » ou encore « Graffiti ».
Selon lui, ces douze parties thématiques peuvent être vues comme des personnalités différentes du « Lacéré anonyme », personnage mythique et auteur des affiches, derrière lequel l’artiste se cache.
Après les expositions « Mots » (1999) et « Image » (2001), le nouveau volet montre un ensemble d’affiches lacérées des années 1950 et 1960, ne présentant ni typographie, ni figure. La série s’arrête aux années 1960 parce qu’avant 1968 les messages publicitaires comportaient assez peu de texte, l’information était plus limitée. De plus, les affiches généralement collées sur des palissades étaient souvent séparés par des bandes de papier monochromes bleues, vertes, rouges, blanches et noires, pareillement lacérées, que Jacques Villeglé prélevait.
Ces affiches lacérées, libérées de tout message, traduisent pleinement l’intérêt de Jacques Villeglé pour la couleur. Le slogan, le logo, le signe visuel et l’information sont évacués, laissant parfois place à de grandes surfaces de couleurs unies. Une des plus grandes œuvres exposées, Boulevard Haussmann, 9 janvier 1965, est de couleur bleue sur presque l’ensemble de sa surface. 42, rue Turbigo, 2 mars 1968, de taille aussi importante, serait presque un monochrome jaune, si on ne percevait pas, à quelques endroits, des couches de papier bleues, vertes, noires, rouges et blanches.
Surfaces planes colorées, marouflées sur carton ou toilees, les œuvres de Jacques Villeglé entretiennent des rapports ambigüs avec la peinture. Contrairement à la peinture qui est ajoutée au fur et à mesure sur la toile, les couches de papier sont ici enlevées, décollées, pour faire apparaître les couleurs dissimulées derrière.
C’est plus le geste d’un sculpteur, même si le volume est réduit au maximum. Parfois, c’est une déchirure rapide. Tantôt, on peut percevoir la force et la pression à l’origine d’un grattage, ou le mouvement sec d’un arrachement. Quelquefois, le papier, qui était humide, ne s’est pas entièrement décollé, laissant une fine couche de colle et de papier. Ou bien il s’agit de simples griffures.
Les affiches Sans lettre, sans figure ont été comparées à l’abstraction, notamment aux dessins de Miró. On pourrait voir aussi des Kandinsky ou même la gestuelle rapide d’un De Konning.
Or, rapporter ces affiches aux abstraits reviendrait à réduire toute la richesse de l’œuvre de Jacques Villeglé, qui relève davantage d’une histoire des « prélèvements du réel », que de la peinture. Il se réfère, entre autres, aux menhirs, aux collections chinoises de pierres, à la photographie, au cinéma et aux collages cubistes.
Prélevées dans la rue, les affiches lacérées sont de véritables témoins du paysage urbain de l’époque, avec un caractère presque sociologique. Villeglé compose moins qu’il ne choisit et cadre le réel.
Jacques Villeglé
— Hommage à Maillol-Métro Montparnasse-Bienvenüe, 1951. Affiches lacérées marouflées sur toile, 25,5 x 35 cm.
— Rue Pierre Demours (Léger 1913), 1958. Affiches lacérées marouflées sur toile. 29,7 x 21 cm.
— Le Cargo Noir, 1958. Affiches lacérées marouflées sur carton. 47 x 23 cm.
— Rue Toricelli — Fenêtre au palmier, 1958. Affiches lacérées marouflées sur toile. 47 x 23 cm.
— Rue des Blancs-Manteaux, 1958. Affiches lacérées marouflées sur papier goudronné. 43,5 x 106 cm.
— Boulevard de la Bastille, 1958. Affiches lacérées marouflées sur carton. 31 x 41 cm.
— Rue Georgette Agutte, 1959. Affiches lacérées marouflées sur contreplaqué. 42 x 41 cm.
— 62, avenue de Versailles, 1959. Affiches lacérées marouflées sur toile. 26,7 x 43 cm.
— Pont S.N.C.F. du Maine, 1959. Affiches lacérées marouflées sur contreplaqué. 22 x 55 cm.
— Hôtel Saint-Senoch, 1959. Affiches lacérées marouflées sur contreplaqué. 40 x 72 cm.
— Rue de la Lacune, 1959. Affiches lacérées marouflées sur contreplaqué. 18,5 x 34 cm.
— 70, avenue Emile Zola, 1959. Affiches lacérées marouflées sur toile. 24,3 x 34,5 cm.