ART

Samout et Moutnefret

PEmmanuel Posnic
@06 Jan 2009

Les rendez-vous que nous fixent Jean-Pierre Bertrand sont réguliers. Rares mais réguliers. A croire que la temporalité est la grande affaire de son oeuvre, peut-être même la clé de son langage plastique.

Le temps, une valeur-refuge pour Jean-Pierre Bertrand ? En tout cas, le coeur de ses interrogations, en peinture comme en vidéo.
Dans Samout et Moutnefret, le court-métrage qu’il met en exergue dans l’exposition, Jean-Pierre Bertrand filme deux statuettes égyptiennes et les fait parler, sa propre voix habitant les corps de ce couple de pierre.
Rassemblés derrière l’une des vitrines des Antiques du Louvre, les deux personnages arborent un éternel sourire, à la fois naturel et étrangement figé. Comme si la scène n’avait, avec les siècles, jamais pu s’effacer. Comme si, en plus de l’éternité, Samout et Moutnefret avaient été rattrapés par la sacralité.
C’est en substance ce que disent les mots que Jean-Pierre Bertrand leur prête. Mais pour lui, faire parler les statues est aussi une manière d’interroger ceux qui les regardent et qui vont enfouir, dans le même espace-temps, ces sourires sans âge et leur réalité d’individu moderne.
Les instants de Jean-Pierre Bertrand croisent différentes temporalités. Une seconde dans les rues de Buenos Aires en douze clichés extraits d’un film réalisé il y a trente-six ans parvient jusqu’à nous avec la même fulgurance que les sourires des deux statuettes (Les Anges, ou une seconde à Buenos Aires).
Un morceau de réel qui traverse le temps, une souveraine empreinte d’une seconde qui, non seulement réduit l’intercale se glissant entre l’événement et l’exposition de l’événement, mais va jusqu’à rompre la distance préexistant entre l’image et le spectateur. Un instant de Buenos Aires en 1972 pourrait finalement appartenir à notre propre réalité.
La segmentation du temps en séquences permet à Jean-Pierre Bertrand d’explorer le présent, de le lire autant dans les faits qui habitent le moment qu’à l’aune de la résurgence de faits passés. Chez l’artiste, le présent flotte dans cette instabilité chronique, dans cette variation subtile entre permanence et instantanéité, fixation et accélération.
Même jeu trouble avec ses tableaux. Le présent est à la surface, là où le visible s’épuise dans les multiples apparitions de la peinture. Apparitions ou disparitions: appliquée sur du papier miel, du parchemin, sur ou sous du plexiglas, la peinture ne couvre jamais la totalité des surfaces mais son absence suggère la mise en scène du vide ou l’apparition d’une couleur fantôme. La couleur rouge quand elle y est; la transparence (pour le plexiglas) ou la couleur chair (pour les papiers) quand elle n’y est pas: là aussi, nous ne sommes pas très loin du sacré. Nous nous en rapprochons véritablement avec It Contains, cette vitrine agrémentée de citrons, de papiers de sel et de miel, qui suggère la présence d’un corps couché.
Au delà des résonnances anthropomorphiques, Bertrand recherche l’empreinte et la profondeur « à l’intérieur de la surface ». comme une peau qui révélerait ses traces et son épaisseur. Il y aurait donc autant à voir dessus que dessous, sur et à travers. Il y aurait donc cette matière palpable et cet immatériel flottant, cette physicalité opposée à cette éternité. Chez lui, le rapport à l’objet s’inscrit toujours en deux temps.

Jean-Pierre Bertrand

— Corps Rouge-papier miel/ acrylique rouge sous ple;xiglas-acrylique parchemin sur plexiglas, 2008
. 204 x 153,5 x 1,8 cm.
— Corps Rouge-papier miel/ acrylique rouge sous plexiglas-acrylique parchemin sur plexiglas, 2008. 204 x 153,5 x 1,8 cm.
— It Contains, 2008
. Papier de sel, papier de miel, citron, acrylique sous plexiglas. 184 x 57 x 100 cm.
— Samout et Moutnefret, 1993. Film 16 mm, noir et blanc. 9’18’’.
— Une seconde à Buenos Aires (les anges), 1972. 12 photographies extraites d’un film. 35 x 42 cm.

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