Communiqué de presse
Rémy Artiges
Salons, photographies
Visiteur fidèle du Salon de l’agriculture, Rémy Artiges en dresse un compte rendu très personnel. Les publicitaires le savent bien: dans ce contexte commercial, l’évocation de la campagne fait vendre. A travers les photographies qu’il a conçues pour le Musée de la Chasse et de la Nature, Rémy Artiges focalise son attention sur les multiples représentations de la nature qui ponctuent les allées et décorent les stands de la foire. Il s’attache à révéler les artifices de construction de ces images, leur caractère factice pouvant être perçu comme une métaphore du rapport de notre société à son environnement.
La terre ne ment pas
C’est désormais un rite bien établi: chaque année, à la fin du mois de février, la France célèbre le «lien charnel» qui la lie à son agriculture. Politiciens de tout bord, professionnels et badauds se pressent à cette noce mystique qui se déroule au Parc des expositions de la porte de Versailles à Paris. La communication propre à l’événement exalte la «plus grande ferme de France» avec ses six cent mille visiteurs. Elle fait la réclame de ses quatre mille cinq cents animaux vivants dont cent vingt races, ses six cent cinquante bovins, cinq cent cinquante ovins… sans omettre d’entonner l’hymne bien connu au développement durable.
Décidément, l’agriculture se fait belle pour entrer au salon. Car, on est bien ici dans le domaine de la représentation. Le réalisme n’est pas de mise dans cette liturgie profane. Il ne s’agit pas d’établir le compte rendu d’un secteur économique en déclin, ni de dresser le portrait d’un groupe social à l’avenir incertain. Mais au contraire, d’en donner une vision favorable, attrayante, économiquement performante et politiquement correcte. Une affaire de marketing en somme.
Pour être plus convaincante l’agriculture se pare des atours de la tradition – labourage et pâturage – et endosse la veste au velours élimé du paysan. C’est un fait, le vert des prairies fait vendre et la nostalgie du terroir sert de faire-valoir à l’agroalimentaire. Au Salon, les images de la nature écartent tout ce qui ne serait pas photogénique. Figées dans un éternel printemps qui exclut la disgrâce des pylônes ou des hangars, elles relèvent d’une pure invention du paysage.
Il s’agit bien d’une fiction
Pour que celle-ci soit pleinement efficace, il faut que les conventions soient acceptées par ceux à qui elles s’adressent. Les visiteurs du Salon assument le rôle de dupe, comme ces courtisans enthousiastes qui choisissaient d’être bernés par les paysages peints, pendus sur le passage de la tzarine pour masquer la déshérence des campagnes. Sommes-nous victimes d’un enchantement qui nous amène à voir une apologie de la ruralité dans cette nature hors sol qu’on expose à la porte de Versailles: images d’une nature idéale que l’on veut prendre pour la nature elle-même ? Les photographies de Rémy Artiges rompent le sort. Ayant arpenté les couloirs du Salon de l’Agriculture de 2002 à 2009, il en est le perspicace observateur.
Il discerne les artifices de mise en scène et pointe son objectif sur le décor et son envers. Focalisant sur les raccords du motif, il met en évidence ces légers décalages qui font basculer l’ensemble de la représentation: dérisoire, isolé par le cadrage, son lampion cesse de signifier la fête et la fenêtre qui ouvrait sur une prairie propice aux évasions bucoliques, n’est plus qu’un écran opaque, le décor économique camouflant la banalité précaire du stand. Rémy Artiges inverse le mécanisme de la perception.
Dès lors, toute la foire prend une autre signification. Elle devient l’expression du profond malaise qui habite le monde agricole. Elle révèle le mal être des travailleurs de la terre. Elle stigmatise le caractère inconciliable de cette mission de gardiens du paysage qu’on voudrait leur impartir avec leur responsabilité de pollueurs ; l’incompatibilité entre une ruralité sensée témoigner de nos racines et une activité industrielle qui fait peu de cas de l’avenir de la planète. Au-delà de sa signification agricole, le Salon illustre notre grande désillusion face à la nature : avec exaltation, la génération précédente avait cherché, sous les pavés, la plage. Nous savons désormais qu’à creuser sous la plage, nous trouverons le béton.
A l’occasion de l’exposition
Salons, photographies de Rémy Artiges, le Musée de la Chasse et de la Nature coédité avec Gallimard – Le Promeneur
La terre avait séché, texte de Laurence Cossé, photographies de Rémy Artiges, (64 pages, 15 photographies). Voir également, Nature, photographies de Rémy Artiges, préface de Claude d’Anthenaise, éditions Gang (64 pages quadri, 40 photographies, 20 euros)