Pauline Boudry et Renate Lorenz
Salomania
Boudry et Lorenz déchiffrent et interprètent une histoire des images qui met en évidence le jeu des relations sociales et des différences de classe. Leur méthode: valoriser les positions minoritaires et leur pouvoir subversif en sortant d’une interprétation normée, hétéro-centrée, qui a pu faire du travesti ou du transgenre un personnage de foires. Comme l’historien, le duo d’artistes fabrique des liens. D’une image à l’autre, elles rendent accessible une histoire culturelle des catégories sexuelles.
N.O. Body (2008), Contagious (2010) ou Normal Work (2007), présenté en janvier dernier à la galerie, apportent une réflexion approfondie sur le rapport entre le corps et le genre, à partir de parcours individuels que l’Histoire a rendu anecdotiques: Annie Jones jouant la «femme à barbe», la danseuse épileptique ou Hannah Cullwick, la servante victorienne fière de ses muscles et de ses mains de travailleuse.
Leurs installations s’articulent souvent de la même façon: des documents encadrés et un film qui intègre de longues séquences de performance. L’élan dionysiaque qui habite les matériaux historiques étudiés (des représentations de corps marginalisés, déviants, pathologisés, racialisés ou stigmatisés) s’incarne dans les gestes de performers et d’artistes comme Yvonne Rainer ou Werner Hirsch, filmés par le duo. Ces performances drag se positionnent comme des versions actualisées de l’archive, avec ce que le contemporain peut ajouter de sens multiples, de rapports aux arts plastiques et aux scènes musicales alternatives.
A chaque fois, les sources historiques et les images filmées se superposent. Le performer adopte les vêtements, l’allure, les poses et les gestes des figures historiques étudiées. La mise en scène des films réévalue la place traditionnellement assignée au spectateur. Celui-ci est amené à comprendre la construction de ces images et les relations de pouvoir qui s’y jouent, ce dernier sort de la position voyeuriste dans laquelle le conforte l’Histoire de l’art.
Salomania (2009), que nous présentons aujourd’hui, explore simultanément le potentiel queer du personnage de Salomé et la pratique de la performance drag. La vidéo montre un drag show dans lequel Wu Ingrid Tsang réinterprète la danse érotique et perverse de la princesse juive sous la direction d’Yvonne Rainer (qui s’y était elle-même essayée dans les années 1970).
A travers cette installation, Pauline Boudry et Renate Lorenz étudient les différentes représentations de Salomé, elles matérialisent des ramifications dont le point de départ est l’interprétation du mythe par l’actrice russe Alla Nazimova. Dans Salomé, un film muet réalisé en 1923, Nazimova avait réuni sur un même plateau des acteurs homosexuels hommes et femmes. Comme Oscar Wilde en 1891 (dans une pièce de théâtre mise en scène par Sarah Bernhardt), Nazimova cherchait à exploiter le potentiel performatif de l’histoire biblique.
Les installations des deux artistes vivant à Berlin participent à la transformation de ce regard, pour que le spectateur se rende, sans qu’il s’en aperçoive, à un désir qu’il n’anticipe pas.
critique
Salomania