On pousse la porte. Lyrics écrit en lettres noires et argent nous plonge dans la pénombre d’une expérience inattendue. Une série de faisceaux projetés, recouvre le sol et se démultiplie dans l’espace. En attente, peut-être, d’un artiste à venir, ces flaques lumineuses font face à des textes inscrits sur les murs. Ces «partitions musicales» s’inscrivent dans le silence suspendu d’un événement improbable.
Nous sommes des interprètes muets. Au centre de chaque cercle immatériel dessiné sous nos pieds, nous sommes attirés par la lueur voisine. Nous sautons d’un endroit à un autre avec l’hésitation incessante de prononcer les phrases proposées par l’artiste. Les regards des autres visiteurs nous confinent dans un mutisme de simple spectateur. Le son ne résonne que dans nos têtes. Nous cheminons sur ces dalles circulaires comme on s’aventure avec prudence dans la lecture d’une nouvelle partition.
Même endroit, autre lieu : le fond de la pièce présente une toute autre configuration.
Des cubes de différentes hauteurs sont disposés tout autour d’une estrade et nous invitent à nous asseoir. Deux faisceaux lumineux éclairent la scène mais ces poursuites diaphanes ne sont les réceptacles d’aucune présence humaine. Des casques sont mis à la disposition des visiteurs afin qu’ils écoutent les textes inscrits précédemment sur les murs. Chantés, ils retrouvent leur propre dimension. Le temps gagne à nouveau en consistance. Il s’incarne et la mesure lui donne une tout autre existence.
Dichotomie des sens : Saâdane Afif nous fait entrer dans une sorte de paradoxe physique. Équipés de nos casques, nous sommes isolés des bruits extérieurs et notre regard se promène dans la pièce sans que notre corps puisse suivre ce mouvement.
Rattachés aux différents postes de diffusion, nous sommes dans l’obligation de prendre une décision. Traverser un espace aphone ou le ressentir de manière plus emphatique mais aussi plus abstraite. Lorsque le son est inaudible, il se matérialise dans les espaces lumineux qui rythment nos pas lors de la visite. A l’inverse, lorsque les bandes sonores nous contraignent à l’immobilité, il reste immatériel, en attente d’un spectacle qui ne commencera jamais.
Chaque visiteur crée sa propre représentation. Face à lui le vide prend forme en fonction de ce qu’il entend et de ce qu’il ressent. L’expérience est unique et sans cesse en devenir. Les images sont personnelles et l’intimité mise en œuvre ne souffre la présence d’aucun public.