Si le vocabulaire inspiré du merchandising et les matériaux prolongent une réflexion très actuelle sur les notions d’économie et de travail appliquées à l’art, les pièces à l’esthétique minimaliste et formaliste interrogent le processus de création et de transformation de l’œuvre.
Dans ce « service après vente » où la confusion entre geste artistique et geste commercial est renforcée par la nature d’espace marchand de la galerie, Benjamin Sabatier renouvelle son offre de « peintures en kit ». Tout en fidélisant le public et la clientèle, il pastiche des marques comme IKEA, distributeur d’éléments de mobilier à agencer soi-même, et s’inscrit dans l’héritage des ready-made de Duchamp. Au-delà du dispositif marchand, c’est le processus créatif en tant que transformation et de recyclage d’objets qui est interrogé.
Tout comme chez Mathieu Mercier, la réhabilitation du bricolage permet d’envisager sous un angle critique la relation entre industrie, art et artisanat, mais aussi le statut de l’artiste.
Les peintures en kit expérimentent en effet de nouveaux rapports entre l’artiste et son collectionneur. En faisant réaliser certaines de ses pièces par d’autres prestataires, Benjamin Sabatier se pose en chef d’entreprise et explore l’interpénétration des univers de production et de consommation.
Mais, tandis que Mathieu Mercier fournit des modèles d’habitation ou de design standard pour en révéler les failles, Benjamin Sabatier incite le visiteur à devenir un artiste par procuration, notamment avec les « Peintures-réclames IBK » réalisées dans un style emprunté aux catalogues de vente.
Au moyen de simples punaises à fixer au mur pour former un motif, des outils et un manuel de montage, il est proposé au visiteur de re-créer des œuvres qui se réfèrent ironiquement à une histoire de l’art : « Pointillisme proto-pop », « Pointillisme néo-dada », « Suprématisme post-moderne », etc.
S’agit-il d’une dénonciation de l’illusoire démocratisation de l’art ? d’un scepticisme avant-gardiste ? ou d’un manifeste anti ou procapitaliste ? Chef d’entreprise redoutable, main d’œuvre exploitée, consommateur comblé ou abusé, collectionneur dans le vent, Benjamin Sabatier parodie à sa manière tous ces rôles et joue sur les poncifs associés à leurs représentations.
Reposant sur les principes de rentabilité et d’efficacité, créer devient ici une activité concrète, mais aussi une activité de plus en plus abstraite, consistant à re-fabriquer à partir de modèles stylistiques combinés. Le produit fini est un objet unique, retravaillé et débarrassé de sa valeur d’usage. Alors que Duchamp se contente de déplacer un urinoir ou une roue de bicyclette dans l’espace muséal, Benjamin Sabatier fait subir de nombreuses altérations aux objets extraits du quotidien. L’œuvre consiste en un recyclage matériel et culturel que Benjamin Sabatier nomme « packaging culturel ».
A côté des « Peintures en kit », les sculptures, peintures et installations constituent d’autres suggestions. Elles sont constituées de déchets industriels : des sachets plastiques, papier chewing-gum et packaging alimentaires aux résonances pop, encastrés dans des panneaux ou littéralement plâtrés, apparaissent comme des motifs picturaux abstraits.
Les colonnes, les rondins, et les grands panneaux muraux frappent par leur esthétique épurée et l’harmonie de leurs matières et couleurs. Seuls les titres (Colonne La Redoute II, Rondin les 3 Suisses) et un regard méticuleux révèlent qu’ils sont faits de papiers chiffonnés, extraits de catalogues de vente par correspondance.
Les associations tactiles et colorées mettent en évidence les propriétés plastiques de la matière semblant relever de gestes élémentaires, comme les monticules (Tas sur palette I) ou les bacs à glaçons surdimensionnés formant d’immenses all-over ( Bacs, 212 x 484 cm).
Ces objets industriels, en fin de cycle privés de toute fonction utilitaire et saisis dans l’instant de la contemplation, apparaissent dans leur qualité brute, et constituent d’admirables artifices qui renouent avec leur origine.