Elles étaient une douzaine à tenir la rampe, embarquées dans une giration sans fin. Patiemment ce travail de résistance allait peu à peu défaire l’uniformité, singulariser un mouvement d’obstination résignée, fonder le cœur d’une Révolution féminine.
Mais cette fois Olivier Dubois se trouve seul en scène.
Il endosse tous les corps, représentant du genre, et les rampes de pole dance ont muté en barreaux de prison rouges.
Rouge (révolution-révolution) serait le pendant masculin de la pièce de 2009, Révolution, peut-être son contrepoint.
Ainsi à la structure linéaire de dilatation, d’effacement et d’étiolement proposée dans le premier volet du projet, Olivier Dubois oppose un éclatement de la forme.
Opposition des genres: d’un côté le caractère centré des figures féminines, toutes absorbées par cette inhérente réalité, ce dispositif dont elles ne peuvent se défaire, de l’autre la multiplication de prothèses engagées par le solo viril. Rouge déploie ainsi, à partir d’accessoires relevant de la panoplie militante (casques de moto détournés en heaumes, porte-voix en armure) ou militaire, un univers parsemé de fétiches sur lesquels étayer un mouvement, appuyer un discours.
La chorégraphie qui s’élabore est elle-même conçue sur le principe de fragmentation: le corps est mu par segments — doigts, bras, fémur, hanche, pied, tête, talon — qui découpent dans l’espace des directions autant que des formes, morcellent le danseur en extrémités phalliques.
Gainé dans une robe de latex, juché sur une paire de talons rouges, Olivier Dubois emprunte justement au vestiaire féminin les accessoires qui fétichisent les corps.
Et de la lente rotation autour des barres métallique, il résume le motif par une rapide pirouette, arrêtée nette dans son élan, comme pour emmagasiner la puissance et l’énergie centripète à l’intérieur du tronc. Cette mise en tension s’accélère et l’énergie augmente dans les mouvements jusqu’au débordement: le rouge coule d’entre les cuisses, depuis le torse devenu trop plein.
S’ensuit un lent déplacement au sol, escalade horizontale à partir d’une poignée de casques noirs, où le danseur presque nu, odalisque étrange, semble se diriger vers un forme de bestialité. Alors la voix prend le relai, entraine le corps dans un grotesque combat japonisant, où sueur, salive, faux sang, permettent l’excessivité de certains gestes. C’est sale, presque gênant, mais Olivier Dubois poursuit son dessein.
Courageusement il va jusqu’au bout de l’évocation des valeurs guerrières, de ces tripes qui s’expriment dans l’affrontement. Et toujours la voix se précise.
Elle articule désormais des noms de patriotes, avant d’être décuplée par un encombrant costume fait d’une multitude de porte-voix. C’est alors que résonne le chant des chÅ“urs de l’armée rouge, tandis qu’Olivier Dubois se libère de ces entraves pour un ultime solo bondissant qui exacerbe ses qualités d’interprète: précision et puissance, moelleux des liaisons, impression de légèreté qui domine. Un sacré danseur.