Des albinos d’Afrique et d’Amérique latine, photographiés en buste, sur fond blanc. Aucune trace narrative, aucune contextualisation, juste la peau albâtre sur un paysage encore plus vierge. D’autres portraits mettent en exergue la lividité de la peau en lui apposant un fond coloré violent — bleu Klein, noir… D’autres visages enfin, apparaissent en filigrane d’un monochrome, telle cette femme dont les traits poignent à peine d’un fond bleu marine omniprésent.
Eric Nehr a rencontré ces individus marginalisés — bambins à la pâleur lunaire, aux yeux d’océan et aux cheveux de paille, hommes à la peau rose et aux yeux marrons, fillettes noires aux paupières, cils et sourcils de neige —, et les a immortalisés dans des mises en scène soignées.
Les enfants posent tels des statues grecques, des angelots virginaux d’un autre monde, métaphores de la douceur de ceux qui ne comprennent pas encore la violence du monde. Les adultes, quant à eux, affichent un «regard-caméra», apanage de ceux qui sont conscients d’être photographiés ou filmés.
Ce pictorialiste dans le traitement du portrait peut être quelque peu embarrassant bien que, d’une part, l’on comprenne bien le respect qui préside à cette décision esthétique et que, d’autre part, la qualité plastique des photographies soit indéniable.
Mais la mise en scène fortement décontextualisante et l’esthétisation de ces personnes les placent en retrait d’une réalité — en retrait de l’espace et du temps. Eric Nehr opère presque une divinisation des albinos d’Afrique et d’Amérique latine qui pourrait être gênante dans la mesure où ces individus sont déjà mis au ban d’une société qui ne les intègre pas, que ce soit malveillant ou non.
Certes, le portrait en buste sur fond coloré est un procédé récurrent chez Eric Nehr. Mais cette posture est-elle pertinente pour tous les sujets photographiés?
Ce systématisme du gros plan fait des objets ainsi photographiés des entités hors du temps et de l’espace et crée de «l’image-affection», ainsi que l’affirme Gilles Deleuze. C’est pourquoi le regardeur manifeste d’emblée de l’empathie pour les personnes photographiées par Eric Nehr. En outre, il y a quelque chose de profondément touchant dans la façon dont ces gens se laissent photographier et présentent leur visage, à nu.
Mais qu’il annihile la couleur blanche incriminée dans une autre couleur ou qu’il la mette au contraire en valeur en utilisant un fond coloré, Eric Nehr utilise des procédés qui ne font que nous rappeler la couleur de la peau de ces personnes.
D’un point de vue documentaire, on peut regretter que de ces rencontres ne soient pas nés des voix, des récits de vie, des témoignages qui auraient pu nous aider à transpercer la superficie des visages. Car que nous apprennent ces photographies sur la condition des albinos en Afrique et en Amérique du sud?
L’on se heurte sans cesse à la surface glacée de ces clichés parfaits sans parvenir à saisir des humanités, restant cantonné à la beauté étrange des visages, ces mêmes visages qui valent à ces personnes d’être discriminées…
Å’uvres
— Eric Nehr, Abdel Nasser et Oscarine #1, 2010. Tirage jet d’encre sur papier japonais gampi. 40 x 62 cm
— Eric Nehr, Johana, 2010. Tirage jet d’encre sur papier baryté encadré sous marie-louise. 35 x 35 cm (avec cadre)
— Eric Nehr, Blandine #2, 2010. Tirage jet d’encre sur papier baryté encadré sous marie-louise. 49,5 x 45 cm (avec cadre)
— Eric Nehr, Dominique #3, 2010. Tirage jet d’encre sur papier japonais gampi. 59 x 52 cm
— Eric Nehr, Océane, 2010. Tirage jet d’encre sur papier japonais gampi. 51 x 45 cm
— Eric Nehr, Génarina, 2010. Tirage jet d’encre sur papier hahnemuehle encadré sous marie-louise. 39 x 35 cm (avec cadre)