Paul Czerlitzki
Roots
«Au Copy-shop, Paul Czerlitzki est en train de scanner un morceau de toile et de le réimprimer à l’échelle 1:1, plusieurs fois. Il fait cela sans savoir exactement ce que la machine produira. On pourrait dire qu’il travaille dans le noir, tâtonnant les yeux fermés et affûtant son toucher. Je le vois là , le peintre dans mon esprit, illuminant la situation, plaisantant de l’absurdité de son acte tout en gardant son plus grand sérieux quant à la question esthétique qu’il pose. En travaillant avec la technologie, il explore visiblement la nature paradoxale des effets tactiles du réel, révélant la possibilité d’une innervation technologique et rappelant une honnêteté transparente de l’image comme tentative d’imitation.
De retour au studio, les variations résultant de la répétition des impressions papier sont réparties en séquence et replacées sur la toile source. Une étrange boucle, de subtile transformation plutôt que de récurrence, est à l’œuvre. La surface de la copie appliquée ondule comme un fac-similé de tissu: des pigments de couleur apparaissent et disparaissent de la vue au hasard déterminé par le scan, l’encre, le ruban d’impression, le code binaire et l’image digitale. […]
Parallèlement, Paul Czerlitzki travaille sur une série impliquant de prélever un fragment de substrat de toile puis de l’appliquer sur un support en toile. La peinture pénètre la texture de gaze, laissant une trace de l’action sur la toile du dessous. Le geste de l’artiste est quelque peu supprimé, le toucher du matériau laissé à son propre dispositif. […]
A la galerie, la peinture devient image, et l’image répétée devient peinture. Le langage est consciemment à l’œuvre. La tapisserie de toile alterne premier plan/arrière-plan, copie/source, prédéterminé/fortuit. Plus que référents de l’Histoire de l’art ou de questionnements propres à la peinture, les choses deviennent perméables. Quelque chose de tactile est présent, qui est moins que le souvenir du toucher. Cet état perméable est signalé par le medium. La toile est devenue papier. Les hiérarchies se dissipent. L’espace se déterritorialise. Le seuil est perçu. Dans ces temps digitaux, hantés par la reproduction infinie, cette pratique artistique questionne ce qui peut encore être appris de la création d’image en s’insérant entre les systèmes technologiques — rendu numérique, fait matériel, le matériau devenant virtuel — tout en en restant à distance des deux.»
Laura Preston