Roni Horn aka Roni Horn
Roni Horn
L’amour marin, l’amour terrien, l’amour céleste : c’est autour de cette trilogie des sentiments amoureux et de ces émotions esthétiques que la grande artiste américaine Roni Horn va nous convier à travers une immense rétrospective que la Collection Lambert lui consacre cet été dans la totalité des espaces de son hôtel particulier, ainsi que dans une partie de la Grande Halle des anciens entrepôts SNCF d’Arles, dans le cadre des Rencontres internationales de la Photographie.
Et si la poésie d’Emilie Dickinson a été choisie en exergue de ce texte, c’est parce que l’artiste américaine la cite comme une référence devenue le leitmotiv de son oeuvre, au même titre que l’est son ami défunt, cet amour céleste, le grand artiste Felix Gonzalez-Torres, ou que le devient cette île nordique devenue la seconde maison de l’artiste, son nouveau nid et son atelier à ciel ouvert, entre l’amour marin et terrien.
Artiste rare, discrète et respectée, mystérieuse et pourtant admirée, elle avait été deux fois présentée à Paris, en 1999 avec une exposition de photographies réalisée à l’ARC, au musée d’art moderne de la Ville, puis en 2004 au Cabinet des dessins du Musée National d’Art Moderne. Car Roni Horn excelle autant avec l’art de la photographie, celui de la sculpture, qu’avec les dessins qui prennent quasiment la forme d’immenses peintures.
Seront ainsi exposées ses séries de photographies devenues les icônes de tous les manuels d’art contemporain, celles autour de la Tamise ou de l’Islande, celles des portraits d’Isabelle Huppert qui rythmeront le musée comme autant de rôles du répertoire rejoués dans notre cité papale consacrée au théâtre, ou les visages dupliqués à l’infini d’une sirène sortant la tête de l’eau, celles des têtes d’oiseaux sans vie ou des paysages glacés, des clowns blancs évanescents qui ne sont pas sans rappeler l’effacement des portraits de Francis Bacon.
Seront aussi présentées ses sculptures monumentales et pourtant si minimales – des phrases figées dans des fines lignes de métal ou de l’eau miroitant dans des blocs solides comme d’immenses lentilles géantes irisées. Enfin ses oeuvres sur papier qui associent des pigments quasi géologiques et des savants découpages à l’image d’un labyrinthe du cerveau s’étendront dans le musée comme des cartographies imaginaires et silencieuses. Les livres qu’elle publie avec autant d’attention qu’une oeuvre à part entière tel un ouvrage de bibliophilie seront rassemblés dans une pièce noire, dans la pure tradition des bibliothèques d’amateurs ou des cabinets de curiosités.
L’exposition qui regroupe plus de 120 oeuvres en trois décennies de création, dont la plupart jamais présentées en France, est la plus complète et la plus riche jamais consacrée à cette artiste née en 1955. Il faut dire que la Collection Lambert s’est épaulée de deux grandes institutions prestigieuses qui ont pu réunir des prêts rares, tant certaines oeuvres sont fragiles ou difficilement transportables : la Tate Modern de Londres, qui a accueilli l’exposition au printemps 2009, puis après, cet été, la venue à Avignon, The Whitney Museum of American Art de New York à l’automne, et enfin The Institute of Contemporary Art de Boston en 2010.
Avec le titre de l’exposition Roni Horn aka Roni Horn (aka: as known as, « aussi connue sous le surnom de ») l’artiste confirme la duplicité évidente de tout son travail, où le double ne fait plus qu’un. C’est le jeu ambivalent d’un double identitaire où tout s’oppose dans ces oeuvres qui doivent souvent se regarder à deux reprises, comme pour mieux les saisir, les comprendre ou les appréhender (cf les paires d’oiseaux morts Dead Owl, 1998, les doubles sculptures en forme de cône Things to happen Again, 1986, les visages de sa nièce adolescente This is Me, This is You, 1999-2000, ou d’un clown grimaçant Cabinet of, 2001).
Le féminin s’oppose au masculin tout comme la légèreté d’un trait, la fragilité d’une feuille d’or (Paired Gold Mats, for Ross and Felix, 1994-95) s’opposent au poids abyssal d’un bloc de verre ou de métal poli (Opposite of White, v.1 (Large) 2006-07, Asphere V, 1998-2001). La froideur de l’eau sur la peau (You are the Weather, 1994-95) s’oppose et à la moiteur de pigments naturels posés sur du papier ou les tracés d’une galerie de fourmis dans la profondeur de la terre (Ant Farm, 1974-75).
Cette artiste radicale, sans concession, a choisi avec Avignon de poursuivre la présentation de tout son travail qui tisse des liens étroits avec certaines oeuvres de notre fonds, celles de l’art minimal, Robert Barry, Carl Andre, Donald Judd, et celles empruntes de féminisme, Jenny Holzer, Barbara Kruger… En 2001, n’avait-elle pas participé à notre exposition Collections d’artistes en proposant des oeuvres de sa collection avec des dessins de Louise Bourgeois, des photographies de Diane Arbus, et une belle image de son ami Felix Gonzalez-Torres, pour qui elle réalisa une pièce de texte qui sera représentée dans l’exposition: une liste poétique et mortifère de tous les jouets ayant appartenu à cet artiste ami, emporté par le sida en 1996 et symbolisé ici avec son amant par deux grandes feuilles d’or posées au sol…