Tel un enfant avide d’expériences pour comprendre comment l’eau se transforme en glace, pourquoi le bois ne laisse que des cendres après avoir brulé, à 73 ans, Roman Signer ne se lasse pas de jouer avec l’air, l’eau, et le feu….
Et même avec les vibrations sonores: un piano à queue noir est ouvert et sans couvercle. Deux ventilateurs se font face de part et d’autre de l’instrument, 50 balles de ping pong, de dimensions variables, vont et viennent sur les cordes en acier au hasard des courants d’air: une mélodie sans cesse improvisée émane de cet ensemble orchestral insolite sans pianiste, aux résonnances lointaines. De quoi rendre l’expérience d’autant plus énigmatique. Ces balles légères, remuantes, un brin insolentes auraient elles profité de l’absence du pianiste, (et de l’artiste ?) pour s’amuser librement et impunément, à notre insu?
Lorsque objets du quotidien et phénomènes physiques s’associent, la mise en scène se suffit alors à elle-même. Au centre de la salle située au fond de la galerie trônent deux ventilateurs suspendus face à face. Brassant de l’air, ils se repoussent par l’effet mécanique de l’un sur l’autre. Tel un numéro de cirque, dont l’enjeu consiste à faire rire, ce dispositif aussi minimal soit-il, offre le spectacle spontané d’une portion de réalité soumise aux regards. Un spectacle dont il n’est jamais l’acteur visible.
En effet, Roman Signer travaille toujours sans témoin direct, et le plus souvent en pleine nature, son atelier de prédilection. Deux skis sont disposés en équerre sur la neige, l’un des deux est surélevé et s’appuie sur un ballon rouge (première photographie)… Sur la deuxième photographie, le ski posé sur le ballon tombe sur le sol neigeux, et ce qui reste du ballon est suspendu sur l’une des spatules. Sur le troisième cliché, le «déchet» du ballon est tombé, il gît sur la neige à côté des skis. Discrétion malicieuse ou facétieuse, l’artiste se tient hors-champ, tel l’enfant attentif aux effets de ses bêtises. Si, pour certaines d’entre elles, l’artiste utilise des «objets résiduels », le plus souvent il se sert de matériaux légers: on peut ainsi voir sur une autre photo un «feu d’artifice» projetant vers le ciel des casques d’ouvriers.
L’art de détourner les objets de leur fonction initiale: les skis au ballon rouge de la première salle apparaissent maintenant grandeur nature. Ils surgissent du mur, les spatules suspendues pointent en direction des visiteurs. Il s’agit de skis anciens. Ici pas de furtive transformation de la matière, mais plutôt le résultat d’une lente évolution de cet objet qui a (sur)vécu après des années d’utilisation, et apparaît ici en suspension, et bien loin de son usage habituel, c’est-à -dire chaussés aux pieds d’un skieur et sur la neige.
Près de la porte d’entrée, un parapluie noyé dans un porte-parapluie en plexiglas transparent est rempli d’eau. Et si un parapluie pouvait devenir autre chose qu’un objet uniquement destiné à se protéger de la pluie. Un joli tour de travestissement, sous des airs de jeu d’enfants, où l’art peut finalement crier victoire contre l’efficacité et la performance.
— Roman Signer, Aktion in Sedrun, 2010. Photo couleur. 122 × 122 cm
— Roman Signer, Piano, 2011. Piano à queue, 2 ventilateurs, 50 balles de tennis de table, dimensions variables
— Roman Signer, Parapluie, 2010. Parapluie noir, boite en plexiglas, eau déminéralisée. 93 x 20 x 20 cm
— Roman Signer, Ski, 2009. Photo couleur, triptyque. 45 x 60 cm chaque.
— Roman Signer, Ski de fond, 2010. Paire de ski, suspension murale. 201 x 28 x 20 cm
— Roman Signer, Installation avec 2 ventilateurs, 2010. Deux ventilateurs suspendus. Dimensions variables
Publication
Roman Signer, When You Travel in Iceland You See a Lot of Water-Scheidegger Und Spiess Ag Verlag, 2010