William Klein
Roma + Klein: Photographies 1956-1960
Dans le contexte enchanteur des années 50, le photographe réalise une nouvelle fresque sur Rome qui devient également un livre, publié en 1958 en Italie par Feltrinelli et en France aux éditions du Seuil en 1959, dans la collection «Album petite planète» dirigée par Chris Marker.
Cinquante ans plus tard, une exposition, ainsi que la réédition de l’ouvrage, célèbrent à nouveau le talent incroyablement visionnaire de son auteur et le geste d’amour envers la ville éternelle. Tout au long des soixante tirages en grand format, réalisés spécialement pour cette exposition, on retrouve les promenades dans le Forum, les dimanches passés à Ostie, la vie quotidienne des Romains, les tournages à Cinecittà …
«Rome est un film, et Klein l’a réalisé» (Federico Fellini)
Un talentueux jeune américain, ayant grandi dans les rues de New York, se retrouve un appareil photo à la main à flâner dans une ville comme Rome. Pourrait-on souhaiter mieux? C’est ce que William Klein a dû se dire, en 1958, quand il atterrit à Rome. Le prétexte était une rencontre avec Federico Fellini, à qui Klein se présente avec l’audace de la jeunesse, prêt à demander une audience. Klein lui-même raconte: «Rome est ma ville porte-bonheur. En 1956, je publie mon livre de photos sur New York sous l’influence de toute une génération de photographes. A cette période, j’étais surtout un peintre abstrait, mais la peinture telle que je la pratiquais, conceptuelle et géométrique, ne me permettait pas de trouver une forme d’expression originale. C’est ainsi que j’ai commencé à expérimenter la photographie. Après le livre sur New York, j’ai eu le sentiment d’avoir fait le tour de la photo et mon objectif devint le cinéma. J’étais un passionné de Fellini et je réussis à organiser un rendez-vous avec lui à Paris: je voulais lui donner un exemplaire de mon livre. Il me dit : ‘Je l’ai déjà , il est sur ma table de nuit. Pourquoi ne venez-vous pas à Rome pour devenir mon assistant?’ J’avais une vingtaine d’années et comme ça, tout simplement, j’arrivais à Rome.»
Mais tout ne fonctionne pas comme prévu. En plus d’avoir déjà de nombreux assistants, Fellini n’est pas prêt pour le début du tournage, comme c’est le cas des productions qui manquent de financements. Le casting est en cours mais d’autres problèmes ralentissent le travail et remettent en question le projet. Que reste-t-il à faire pour Klein? Rien… ou peut-être tout.
«Bien sûr, Federico avait déjà une foule d’assistants mais je travaillais néanmoins avec lui sur le casting des Noces de Cabiria, documentant une armée de prostituées et de proxénètes et recherchant des potentiels lieux de tournage. Le film fût cependant reporté et je me suis dit: ‘Bon j’ai fait un livre sur New York, pourquoi ne pas en faire un autre sur Rome?’»
Et cette Rome des années 50, accueillante et festive, lui ouvre les bras avec bonhomie et sarcasme. A l’époque, les rues étroites et les ruines de la ville abritent des artistes, écrivains et réalisateurs du monde entier. La tradition du Grand Tour, qui pendant des siècles a formé des générations de jeunes artistes européennes et américains, renaît en Klein face à une Rome à découvrir. Ses «promenades romaines» ont pour guides des personnalités exceptionnelles: Pier Paolo Pasolini, Ennio Flaiano, Alberto Moravia, Giangiacomo Feltrinelli. Ce sont eux qui lui fournissent les clés d’une ville apparemment facile à vivre, pétillante et gaie, mais en réalité très complexe. Il les retrouve au Café Rosati de la Piazza del Popolo, parcourt les banlieues et les nouveaux quartiers, passe ses dimanches sur la plage d’Ostie sous les regards et les sourires moqueurs des gamins chers à Pasolini, se balade le long du Forum, entre des groupes de soldats en congé ou à Saint Pierre parmi les religieuses en extase.
Klein décide de se mesurer à l’un des thèmes qui lui deviendra cher: raconter grâce aux images une ville inconnue, saisir son âme propre, sa force, en observant ses habitants et l’esprit qui les unit. Si New York était le journal visuel, abrupt et saccadé, d’un fils revenu au pays, Rome est autre chose, c’est une langue à apprendre, une ville à déchiffrer et à connaître. Il lui faut comprendre comment les gens vivent, d’où provient cette légère ironie qui permet de supporter le poids d’un passé si encombrant fait d’empereurs et de papes. Comment être en mesure d’avancer, entre les places antiques et les automobiles modernes, face à un avenir incertain mais plein d’espoirs suite à ces années sombres d’après-guerre. Il lui faut mesurer le poids d’une ville qui est encore un haut lieu spirituel où le Vatican non seulement dicte les heures de prières mais également la politique intérieure.
Voilà à quoi ressemblait Rome dans les années 50, voilà ce que Klein, avec enthousiasme, intelligence, tendresse et ironie, donne à voir dans ses photographies. Il aiguise ici une méthode qu’il expérimentera de nouveau avec Tokyo, Moscou ou, plus récemment, Paris, la ville qu’il a choisi d’habiter depuis cinquante ans.
Pour entrer dans la Rome de Klein, il faut être prêt à découvrir, sans aucune sorte de hiérarchie, les graffitis sur les murs et les portraits de réalisateurs célèbres, les enseignes des magasins, les panneaux publicitaires et les panoramas grandioses du Forum romain. Inspiré par la diversité, Klein photographie les notables et les simples figurants de Cinecittà ou, pour la première fois, plonge la mode dans la rue, en faisant poser des mannequins élégamment vêtus dans des mises en scène quotidiennes. Dans ses photos, comme dans le livre publié aujourd’hui dans une nouvelle édition, tout converge à un rythme accéléré et chaotique. Le souffle de toute une ville.