Emio Greco et Pieter Scholten ont créé le spectacle Rocco en 2011 au festival Impulstanz de Vienne. Nommés directeurs du Ballet National de Marseille en 2014, les deux chorégraphes ont décidé d’intégrer le spectacle au répertoire de la compagnie en deux versions: l’une masculine (l’originale) et l’autre avec une distribution entièrement féminine. Dans Rocco, les danseurs deviennent des boxeurs et la scène un ring. Entre jeux de jambes rapides et tactiques virtuoses, les interprètes se défient à coups de poing. Dans ce combat au corps à corps, ils partent en quête de leurs limites physiques et mentales.
De prime abord, la boxe et le ballet ne semblent pas avoir grand-chose en commun. Or, on a souvent comparé Muhammad Ali à un danseur, tant il était agile, gracieux et rapide sur le ring. Ce n’est pas un hasard si à Cuba, on joue de la salsa à chaque entraînement de boxe: la musique aide à maintenir le rythme lié à la coordination entre les jambes et le haut du corps, ce qui est aussi une caractéristique de la danse. La maîtrise extrême du corps et une discipline de fer sont indispensables dans les deux cas. Rocco instaure un lien à la fois gestuel et dramaturgique entre le sport et le vocabulaire chorégraphique d’Emio Greco et Pieter Scholten.
Un boxeur est toujours en mouvement. Il s’oppose trois fois trois minutes à son adversaire avec lequel il essaie de maintenir une distance d’une longueur de bras. Ainsi, pendant tout le match il occupe à la fois son propre espace et celui de l’autre. Dans la danse également, la distance entre les corps joue un rôle important. Les danseurs sont entraînés à partager l’espace et l’énergie tout en restant conscients de la position et des mouvements précis de chacun. Exactement comme des boxeurs sur un ring. Sur scène, l’espace entre deux corps est toujours chargé de sens, comme une métaphore du rapport à l’autre.
Pour cette création, Emio Greco et Pieter Scholten se sont inspirés du film Rocco e i suoi fratelli (Rocco et ses frères, 1960) du réalisateur Luchino Visconti. Le film raconte le lien fort qui unit deux frères menant un combat commun pour une vie meilleure et une quête d’identité. La veuve Rosario Parondi déménage avec ses cinq fils de Lucania, dans le Sud de l’Italie, à Milan. L’un de ses fils, le boxeur Simone, entame une liaison tumultueuse avec une prostituée, Nadia. Peu après, son frère Rocco jette son dévolu sur la belle, ce qui rend Simone fou de rage. Le conflit entre Rocco et Simone déchire la famille et les rapports entre les cinq frères Parondi se teintent de violence.
Tout comme dans le film, un combat réel se déroule dans la chorégraphie Rocco. Le spectateur est témoin de plusieurs rounds dans lesquels le jeu de jambes ultrarapide est combiné à de puissants crochets droits. A travers la mise en scène de ces boxeurs-danseurs, la pièce analyse la manière dont l’agression et l’amour, la tension et l’attirance se frôlent dans une «esquive». Rocco fait ainsi penser à une parade amoureuse: il est difficile de discerner avec certitude si les protagonistes sont engagés dans un combat ou s’ils s’aiment avec une intensité qui tend à l’agression.