Pièce protéiforme, Save the Pedestals! (2018) (alias Rettet die Sockel!) réunit différentes énergies et compétences. Mobilisant marionnettes géantes, danse contemporaine, théâtre, vidéo-projections et littérature notamment, Save The Pedestals! [Sauvez les piédestaux] prend les traits d’une déambulation onirico-poético-politique. Signant la mise en scène comme la chorégraphie, Robyn Orlin livre ici un nouvel opus engageant et engagé. Pièce basée sur un texte original (non encore publié) de l’écrivain sud-africain Ivan Vladislavic, Save the Pedestals! s’attaque aux statues et statuts. Tandis que la compagnie sud-africaine Handspring Puppet Company donne ici vie à de grandes marionnettes en bois, agies de l’intérieur. Et produite par le Puppentheater Halle, la pièce se conjugue sur le mode germano-sud-africain. Comme Robyn Orlin, chorégraphe sud-africaine vivant à Berlin.
Save the Pedestals : les marionnettes géantes de la Handspring Puppet Company
Comment entrer dans ce dédale onirico-historique, sans l’aide du spectacle avec son expressivité contagieuse ? Peut-être en commençant par dire que le titre vient d’un aphorisme du poète polonais Stanislaw Jerzy Lec (1909-1966). Soit « Si vous détruisez les monuments, sauvez les piédestaux. On en aura toujours l’usage. » Un humour caustique, dont est imprégnée cette pièce mêlant échelles, personnages, genres, époques… Comme dans un rêve, où tout peut changer de façon aussi radicale que fluide. Ici, le périple ne se fait pas en compagnie d’Alice au pays des merveilles, mais avec Comrade A et Ma Z. Soient deux personnages ayant déjà bien vécus, et se promenant dans leur ville natale, Johannesburg. Rêve de l’un ou rêve de l’autre, cette promenade donne lieu à des considérations sur les statues, les idoles, leurs chutes, fuites et crépuscules… Une histoire de cultes de la personnalité qui se succèdent, d’érections en déboulonnages.
Save the Pedestals de Robyn Orlin : entre danses et rêves d’automates animés
Lénine, Staline, Mao Zedong, Saddam Hussein… Comme le filmaient Alain Resnais et Chris Marker : Les Statues meurent aussi (1953). Histoires de colonisations, du continent africain notamment, en filigrane de Save the Pedestals! se profile également un absurde monument. Soit une locomotive importée en 1896 par les troupes coloniales allemandes, et abandonnée dans le désert de Namibie pour cause de poids exorbitant. Surnommée Martin Luther, en raison d’une phrase attribuée au prédicateur protestant (« Je me tiens là , et je ne peux rien faire d’autre »), l’engin fait office de plaisanterie. Jouissant d’un statut de monument national, évoquant la mémoire industrielle, c’est aussi une marque de la colonisation allemande. Avec le grotesque d’une épave abandonnée par les troupes coloniales, transformée en emblème de l’« héritage partagé ». Spectacle dense, à niveaux de lecture multiples, les marionnettes de Save the Pedestals! sauront accompagner les publics au sein de leur turbulence colorée.