C’est d’abord avec le nez que le spectateur pénètre dans la galerie Air de Paris. Une légère odeur de peinture, de pâte à modeler, envahit les narines. C’est peut-être que l’épaisse couche de matière colorée qui recouvre les toiles n’est pas tout à fait sèche. On s’approche, on regarde, et du coup on s’intéresse de près à ces tableaux qui sont tapissés d’une couche épaisse de peinture. L’odeur se fait très vite oublier, et l’œil reprend le dessus, le détail ne lui suffit plus. Alors, on s’éloigne, on observe de nouveau, et on remarque que le tableau à comme un air de famille.
C’est tout simplement parce que c’est un tableau Ikea, le magasin de meubles à grande distribution et à bas prix. A la base, c’est donc une image reproduite en des milliers d’exemplaires dans toute l’Europe. Mais tout d’un coup elle semble prendre vie. Chaque tableau est retravaillé, mais le dessin et la couleur originaux restent les mêmes. Robert Pruitt s’amuse simplement à passer par dessus tous les contours, toutes les lignes, tous les fonds avec une épaisse couche de peinture à l’huile.
La couche est si large qu’elle ne s’apparente même plus à de la peinture mais à de la matière vivante ou rocheuse ou même ensorceleuse parfois. Les formes ressortent, des motifs comme des spirales apparaissent parfois sur les fonds de couleurs unis. Après le nez et les yeux, ce sont les mains qui sont tentées.
Ce qui est intriguant aussi dans ce travail de réécriture de tableaux Ikea, c’est que la glaçage de peinture est toujours étalé de manière différente. Parfois ce sont comme des petites ficelles mises bout à bout. Le dessin du dessous disparaît alors au profit d’une multitude de petits vers de terre qui semblent se promener sur la toile.
Il y a aussi ce tableau d’une grosse fleur rouge où, au cÅ“ur de celle-ci, se forment comme des petites explosions de magma.
Cette matière, cette peinture prend l’aspect d’une étendue de boue sur un autre tableau ou encore d’une multitude de taches de couleurs qui s’agglutinent les unes contre les autres. Robert Pruitt donne un vrai mouvement à ces tableaux au départ sans identité puisque reproduits à l’infini.
Plus qu’une critique de la société de consommation, Robert Pruitt semble s’amuser de celle-ci, et même s’en inspirer. Il retransmet son plaisir à détourner ces images, et arrive à créer une atmosphère ludique, de jeu. Car une complicité s’installe entre le spectateur et le tableau. On pense tout d’abord à l’image de base puis à sa transformation et enfin à la nouvelle interprétation. Une progression plaisante et pleine d’humour pour qui se laisse transporter un peu par la magie de la matière de Robert Pruitt.
Enfin le plus surprenant, ce sont ces deux personnages de carton installés au milieu de la salle. Les cartons sont recouverts de logos de marques, comme CocaCola et sont ficelés par un fil de fer. Ils ont chacun six pieds, qui semblent indiquer une petite fille et un homme. La première porte des bottes en caoutchouc roses, et le second des chaussures de bureau avec des chaussettes à carreaux. Et tous les deux possèdent de gros yeux ronds aux pupilles noires qui ressemblent en plus gros aux yeux en plastique que l’on colle sur les jouets des enfants.
Pour le détail les yeux de la fille tournent asymétriquement et ceux de l’homme tournent en même temps. Cette installation tourne l’exposition en dérision, et dégage une sensation de spontanéité et de fraîcheur malgré leur côté statique. Robert Pruitt s’est manifestement amusé à reproduire les traits du spectateur qui fait les gros yeux devant les tableaux…
Å’uvres
— Robert Pruitt, Pjätteryd Oil Painting: Pink/Red Flower, 2011. Ikea inkjet canvas, oil paint. 90 x 90 x 3 cm
— Robert Pruitt, Pjätteryd Oil Painting: Pink/Purple/Green Flowers, 2011. Ikea inkjet canvas, oil paint. 78 x 118 x 2 cm
Courtesy Air de Paris / © Robert Pruitt
— Robert Pruitt, Pjätteryd Oil Painting : Actress 1. 2011. Ikea inkjet canvas, oil paint. 90 x 90 x 2 cm
— Robert Pruitt, Cardboard Monster: Rosie, 2010. Bald cardboard, socks, shoes (all man-made materials), refitted elctric clocks, wood, Comme des Garcons Odeur 53, extension cord, 183 x 79 x 72 cm