La photographe japonaise Rinko Kawauchi présente sa première exposition personnelle en Europe à La Fondation Cartier pour l’art contemporain. Pour cet événement exceptionnel, l’artiste a choisi de réunir une grande sélection de photographies de la série «AILA» (2004) et d’exposer pour la première fois au public ses deux dernières séries : «cui cui» et «the eyes, the ears».
Rinko Kawauchi aime saisir les détails du quotidien qui échappent souvent au passant trop pressé : un robinet qui goutte, l’écorce fendue d’une pastèque, une cuillerée de tapioca… Vus à travers l’œil aiguisé de l’artiste, ces objets et ces situations ordinaires prennent un tout autre caractère qui fait surgir la beauté, la poésie et l’émotion. Rinko Kawauchi regroupe ses photos en séquences, créant ainsi des récits ouverts qu’elle publie sous forme de livres. Juxtaposant ces images, elle crée ainsi d’étonnantes associations de formes et d’atmosphères qui étonnent et encouragent à méditer sur l’infini merveilleux du monde.
Images de la nature, les photographies de la série «AILA» (du mot turc aile signifiant « famille ») révèlent la vie dans ce qu’elle a de plus miraculeux. Rinko Kawauchi parvient à saisir l’infinie diversité du monde naturel — ruches d’abeilles, matrices d’œufs de poisson, gouttes de rosée, chutes d’eau, arcs-en-ciel — tout en insistant sur le caractère éphémère de toute vie. Les animaux, les plantes, les êtres humains sont tous représentés à divers moments de la vie, de la naissance à la mort.
Comme le suggère le titre «AILA», ce qui unit tous les êtres vivants en une seule grande famille, c’est l’expérience de la vie. Rinko Kawauchi exprime parfaitement ces liens par des images qui évoquent –et plus littéralement décrivent – les rapports de l’homme avec les animaux et la nature: une main tenant un chiot qui vient tout juste de naître, un promeneur qui nourrit des corbeaux dans un parc. Elle nous donne également à voir les similitudes étonnantes que les humains partagent avec les autres êtres vivants. Certaines associations de photographies soulignent les ressemblances d’ordre physique : l’image d’un placenta et d’un cordon ombilical mise en regard avec celle d’un insecte ayant développé une longue et sinueuse excroissance. Ailleurs, ce sont les constructions humaines qu’elle compare aux structures naturelles, par exemple une vitre en verre associée à une tortue de mer nageant dans l’océan, surfaces translucides, toutes deux traversées par une lumière scintillante.
Si «AILA» est sans conteste un hymne visuel à la vie, certains des sujets abordés dans cette série parlent aussi de cruauté, de douleur et de mort. C’est le cas de cette image saisissante d’un poulet, la tête pendant au bord du billot. Mais qu’elles évoquent la naissance ou la mort, les photos de Rinko Kawauchi sont toutes d’une troublante beauté, fruit de l’alliance d’un langage extrêmement raffiné, associant couleurs pastel et jeux de lumière, avec une approche directe, instantanée, du geste photographique. Concentrée sur les détails les plus subtils de son environnement immédiat, Rinko Kawauchi donne à voir la beauté qui peut surgir de l’éphémère et du transitoire.
Dans «cui cui», sa nouvelle série de photographies, Rinko Kawauchi continue à explorer le thème de la famille, mais cette fois-ci à un niveau plus intime. Présentée dans l’exposition sous la forme d’un diaporama, cette œuvre est constituée de photos de la famille de l’artiste, de lieux qu’elle lui associe, prises sur une dizaine d’années. Le titre évoque le cri des moineaux, ces petits oiseaux considérés comme particulièrement sociables qui aiment vivre ensemble. Leur doux «cui-cui» devient métaphore des liens familiaux. Centrées sur des détails expressifs et des paysages mélancoliques, ces images douces-amères et nostalgiques évoquent le temps qui passe, la vie qui va.
Les photos de la série «the eyes, the ears», accompagnées de poèmes de l’artiste, évoquent des images et des sons à la fois délicats et insolites: miroitement irisé de la nature, comme à travers un kaléidoscope, prodige de la formation de gouttes de rosée sur une feuille. Les images sont lyriques, musicales, même, par les sons qu’elles évoquent: le battement d’une aile de papillon, le déferlement des vagues, l’eau qui goutte. Avec cette série, Rinko Kawauchi trouve un écho de sa voix intérieure dans le doux murmure du monde qui l’entoure.