Rineke Dijkstra
Rineke Dijkstra
«À ses débuts, Rineke Dijkstra travaille comme photographe indépendante pour des magazines de presse, réalisant des portraits d’artistes, d’écrivains, d’hommes d’affaires.
Un jour, en période estivale, une commande la mène sur une plage de la mer du Nord, en Hollande. Elle y fait la première image fondatrice d’une série de portraits d’adolescents qui la conduira par la suite sur des plages de Pologne, d’Ukraine, des États-Unis et d’Afrique. Une série qui va littéralement transcender le genre du portrait dont la pratique est pourtant courante et constante depuis l’avènement de la photographie.
Ses modalités opératoires sont dès lors parfaitement au point : une prise de vue frontale, un sujet le plus souvent cadré en pied, un décor minimaliste, à peine suggéré, une mise à profit de la lumière ambiante complétée par un recours au flash, une prise de vue sur négatif couleur faite au moyen d’une chambre photographique, enfin l’adoption systématique d’un principe de pose où le regard du sujet se confronte toujours à l’objectif du photographe.
Par la suite, Rineke Dijkstra développe d’autres séries sur des sujets qui prolongent ses précédents travaux et qui semblent se répondre : Disco Girls ; enfants dans un jardin (Tiergarten) ; jeunes gens photographiés régulièrement de l’enfance à l’âge adulte ; mères venant d’accoucher, leur nourrisson dans les bras ; toreros à peine sortis de la corrida (Bull-fighters) ; légionnaires français ou jeunes appelés en Israël, des hommes, mais aussi des jeunes filles photographiés alternativement en vêtements civils et en tenue de soldat.
L’artiste se met également à la vidéo et réalise des installations qui reprennent les principes de ses prises de vues photographiques. Une installation vidéo de 1996-1997 intitulée The Buzzclub et une vidéo de 1997, Annemiek, sont présentées dans l’exposition.
The Buzzclub / Mystery World, Liverpool, UK / Zaandam NL, première pièce vidéo de l’artiste hollandaise Rineke Dijkstra, a été réalisée dans des dance clubs à Liverpool et Zaadam. Rineke Dijkstra y a enregistré de jeunes clubbers dans un studio placé directement à côté de la piste de danse principale. Sans donner d’identifications précises, elle leur a proposé certains scénarios : «Imagine que tu veux danser, tu es au bout de la piste et tu as envie de danser, tu bouges un petit peu mais pas vraiment». Les danseurs affrontent ou évitent la caméra, sont emportés par le rythme, soufflent des cercles de fumée ou se laissent soudainement aller à des danses frénétiques. Comme dans plusieurs photos issues de séries plus anciennes (photos de jeunes seuls ou en petits groupes sur des plages aux États-Unis, en Ukraine, en Pologne…), Rineke Dijkstra montre ici avec grâce la vulnérabilité, les corps en transformation, la recherche d’identité d’adolescents filmés isolément. Mais dans The Buzzclub, au-delà de cette fragilité exposée, c’est le groupe social et ses mécanismes qui sont admirablement mis au jour par l’artiste».
Extrait d’un texte de Thierry Leviez, 2003.
«Il y a dans mon travail un aspect documentaire qui consiste à décrire des situations individuelles comme des exemples révélateurs de tout un contexte.
Il y a aussi un aspect psychologique qui s’intéresse à l’attitude d’un individu particulier dans une situation donnée. J’essaie de trouver un équilibre entre ce qui reflète un contexte général et ce qui relève de la sphère individuelle. Je crois que la photographie permet parfaitement de traiter ce double point de vue.
Je prends, par exemple, des situations comme le service militaire, l’école, la plage, une discothèque, qui sont des expériences vécues par tout le monde. Chacune de ces situations m’impose des limites précises. Je les travaille comme des moments documentaires.
Dans chaque moment documentaire, je m’intéresse à l’authenticité et à la singularité du sujet que je photographie, comment tel individu se différencie de tel autre. Ce sont toujours les petits détails, un regard, un geste, qui font la différence et nourrissent ma recherche de vérité».
Extrait d’un entretien avec Jean-Pierre Krief réalisé fin 2003 pour la série Contacts.
Rineke Dijkstra a donné naissance à une esthétique photographique particulière où la rigueur du point de vue et la maîtrise technique concourent à une seule exigence : atteindre et restituer la singularité du sujet photographié. C’est d’ailleurs tout le mystère de cette artiste : elle fait des portraits, comme beaucoup de photographes n’ont jamais cessé d’en faire, elle maîtrise les procédés techniques qui sont ceux d’une multitude de professionnels de l’image, pourtant quelque chose propulse son regard plus loin que les autres. Dans cette part d’étrangeté dont Baudelaire disait qu’elle est inséparable de la beauté, un espace indéfini, où flotte la mise à nu de l’essentiel : la fragilité de la présence humaine.