Non, la peinture de paysage ne semble guère pouvoir survivre à cet environnement aux poussées urbanistiques agressives que dessine désormais notre société, à moins peut-être d’en modifier quelques acquis…
C’est ce que semble vouloir proposer, entre autre, Gwen Rouvillois qui prend la mesure de ces bouleversements en proposant, galerie Zürcher, une série de paysages peints ou photographiés dont la hauteur excessive des immeubles déchire le cadre, et qu’ironiquement elle appelle  » pays sage « .
L’artiste déforme le format traditionnellement horizontal des paysages par des excroissances verticales, lorsque les hautes tours qui s’y dressent le rendent nécessaire. Un climat de tension est créé, par ce débordement d’un cadre peinant à suivre une réalité urbaine en pleine expansion, par cette confrontation d’axes verticaux et horizontaux qui scandent la plupart de ses compositions.
L’harmonie visée par les compositions paysagères est définitivement mise en échec par l’érection de ces gigantesques édifices. Un paysage peint se construit d’ordinaire en se référant à la hauteur de regard de l’individu qui le contemple, et c’est justement ce qui est impossible aujourd’hui, si l’on y introduit ces architectures négligeant ce trop sage étalon de mesure.
Adieu donc les considérations d’échelles prenant en compte l’individu, adieu les utopies urbanistiques à la Le Corbusier. Ce qui prime aujourd’hui, ce sont les enjeux financiers poursuivis par les grosses sociétés immobilières qui, elles, préfèrent raisonner en termes d’espaces aménageables au moindre prix.
Comme pour aller plus loin encore dans ces propositions grinçantes, Rouvillois peint tout en rose, ce rose bonbon dont l’industrie enrobe les objets de consommation afin d’être hâtivement identifiés à des  » objets du bonheur « , idée à laquelle nous renvoie aussi ce caddie de supermarché débordant d’une pâte rose et mis sous verre que l’artiste a d’ailleurs intitulé rien que du bonheur.
Cette poursuite aliénante et illusoire que l’artiste appelle « le bonheur à tout prix » ressemble fort à cette autre vanité, la Tour de Babel, que le mythe dit avoir été construite par le peuple pour grimper jusqu’au ciel et se mesurer à la puissance divine. Mais à la suite d’un châtiment, leur tentative de maîtrise sur le monde se soldera par un échec. Rouvillois ne fait-elle pas aussi allusion à cet idéal de maîtrise de nos sociétés industrielles en intitulant plusieurs de ses compositions Paysage en érection ? Et l’un des symptômes de ces architectures irresponsables n’est il pas de détruire le lien social, handicap dont fut aussi victime le légendaire peuple de Babel ?
Gwen Rouvillois :
— Rééducation de la langue, 2002. Tirage numérique sur papier. Edition 10 ex. 28,5 x 23 cm.
— Paysage en érection (Saint Denis) , 2003. Photo-dessin numérique , contre-collage sur alu. 78 x 154 cm.
— Rien que du bonheur, 2003. Plâtre peint, métal, roues, vitrine. 179 x 52 x 34 cm.
— Paysage en érection (Bilbao) , 2003. Photo-dessin numérique, contre-collage sur alu. 115 x 163 cm.
— Invaders, 2003. Acrylique sur toile. 260 x 146 cm.
— Chantier n°1 (Inde), 2003. Technique mixte sur toile.102 x 94 cm.
— Chantier n°2 (Espagne), 2003. Technique mixte sur toile. 114 x 92 cm.
— Paysage en érection (Montmagny), 2003. Photo-dessin numérique, contre collage sur alu. 106 x 154 cm.
— Specimen, 2003. 29 x 21 cm.
— Paysage en érection (voie ferrée), 2002. Acrylique sur toile. 108 x 146 cm.
— Chantier n°4 (Inde), 2004. Acrylique sur toile. 154 x 93 cm.
— Champs slovaques etc, 1999. Photo numérique. 34 x 96 cm.
— Une tranche de bonheur, 2003. Acrylique sur toile marouflée sur PVC, métal nickelé et roues. 157 x 68 x 135 cm.
— Chantier n°3 (Inde), 2003. Acrylique sur toile. 261 x 229 cm.
— Paysage en érection 1 (Berlin), 2003. Photo-dessin numérique, contre collage sur alu. 115 x 153 cm.
— Sans titre, 2003. Plâtre peint poli, métal nickelé et roues. 18 x 28 x 97 cm.
— Paysage en érection 2 (Berlin), 2003. Photo-dessin numérique, contre collage sur alu. 115 x 152,5 cm.