Les paysages extraordinaires fascinent et terrorisent à la fois. Les aventures humaines se nourrissent de ces territoires incertains, de ces tentations sucrées pour l’inconnu.
Ceux que décrivent Laurent Grasso, Nicolas Moulin et Eric Baudart ont la même force attractive. Nuages ourlés sur champ lunaire pour le premier; ciels laiteux et architectures futuristes pour le deuxième; structures organiques et menaçantes pour le dernier. Chacun cultive son goût de l’ailleurs et de l’indicible. Dans les franges du réel que tous les trois sont bien décidés à soumettre au langage du fantastique. A la lisière du vrai pour prêcher le faux.
L’exposition Chez Valentin jette un rapide regard sur la production de ces trois artistes français à l’écho grandissant. Des artistes nés dans les années 70 et rompus chacun à la culture de masse qui a fait émerger le cinéma de science-fiction et les nouvelles technologies.
Leur travail en porte immanquablement les traces: il est difficile de ne pas penser à Kubrick, Philip K. Dick, Lynch ou aux jeux de simulation sur console vidéo. Mais plutôt que d’en parfaire les contours, leurs mondes laissent apparaître des imperfections notoires, des bricolages de pacotille, des trompe-l’œil étonnamment fragiles et sensibles. Dans les lézardes de ces murs, se glisse aussi la critique de l’autorité scientifique et de la mainmise du politique sur l’imaginaire collectif.
Donc un fantastique subordonné à une esthétique sauvage, brutale et volontairement bancale. Pour Éric Baudart, les sculptures molles et mouvantes opèrent sur des socles en forme de paillasses de laboratoires. Ces animaux élastiques ne sont en s’y approchant que des filets de pêche emmêlés, version vaporeuse et grotesque de la bête sous-marine inspirée des récits de Jules Verne.
Les récits de Laurent Grasso croisent les grands récits scientifiques de notre époque. Les croisent et les rejoignent surtout, notamment ceux qui fascinent ou laissent planer le doute sur leur réalité.
La science comme une mythologie contemporaine, comme un opium offert au peuple: pour l’exposition Chez Valentin, Laurent Grasso reprend Éclipse, une œuvre de 2006 dont une partie avait été montrée pour Antidote l’année passée au moment de la Fiac.
L’éclipse est le climax de ces récits hypnotiques parce qu’elle concentre dans son rendez-vous solaire autant de grâce que de mystère, de beauté et de frayeur pour les mortels que nous sommes. Laurent Grasso la fixe sur un modeste petit tableau peint, dans le montage archaïque d’un papier collé ou en la désignant sur le mur à l’aide d’un néon incandescent. Il y a cette magie des derniers feux, cette appréhension du moment d’après et bien entendu cette peur du silence absolu qui préside à l’arrivée du phénomène.
Mais l’artiste le sait pertinemment, fixer ce motif fuyant et hors-norme n’a aucun sens. Si ce n’est celui d’engager avec le spectateur un jeu complice et quelque peu schizophrénique dans lequel chacun accepte de vivre une réalité qu’il ne maîtrise pas.
Une réalité mise à mal par des phénomènes incroyables qui subjuguent et déplacent l’expérience qu’on en fait aux confins du paranormal. Ce sont ces moments de doute qui intéressent Laurent Grasso, quand le réel se fissure pour laisser place aux croyances et aux hypothèses.
Chez Nicolas Moulin, c’est le cadre exorbitant de la norme qui régit ces croyances. Là aussi la fiction rejaillit sur le réel. Mais c’est par le biais d’une architecture systémique et minimaliste, vision extrême d’un ordre institutionnel inspiré des codes d’une dictature, qu’elle cristallise les paranoïas. Vautrée sur les flancs d’un paysage de nature, ces étaux de béton sombre et mortifère refabriqués sur logiciels annihilent tout effort d’occupation harmonieuse du territoire. Comme une mise au pas de l’espace public par l’autorité politique. Ou comme une version apocalyptique de nos rêves de futur.
Car il s’agit bien d’entrer dans l’espace mental du spectateur ici. C’est celui-là que Moulin assiège, à grands coups de frayeurs sourdes et cauchemardesques, tout comme Éric Baudart et Laurent Grasso d’ailleurs. Avec eux, Rien n’a rien à voir comme le précise le titre de l’exposition puisque tout est cérébral, et tout est entreprise de croyances collectives.
Nicolas Moulin
— Wenluderwind 1, 2009. Photographie sous diasec mat contrecollé sur aluminium, châssis affleurant. 210 x 70 cm.
— Wenluderwind 2, 2009. Photographie sous diasec mat contrecollé sur aluminium, châssis affleurant. 210 x 70 cm.
— Wenluderwind 3, 2009. Photographie sous diasec mat contrecollé sur aluminium, châssis affleurant. 210 x 70 cm.
Laurent Grasso
— Sans titre, 2009. Photographie sous diasec contrecollé sur aluminium, châssis métallique aluminium rentrant. 60 x 90 cm.
Eric Baudart
— Landscan, 2009. Diasec encadré. 34 x 26,5 cm.