Richard Jackson
Richard Jackson
La nouvelle exposition de Richard Jackson se veut un hommage à l’un des chef-d’œuvres de l’art moderne : Étant donnés : 1. La chute d’eau, 2. Le gaz d’éclairage de Marcel Duchamp.
En fait, c’est tout à la fois une réplique fidèle de l’original (basée sur une lecture attentive des notes d’installation de l’artiste français) et une transformation de l’œuvre de Duchamp, produite par l’utilisation de deux procédés parallèles. Le premier peut être décrit comme une extension de l’œuvre de par l’effraction de l’enceinte hermétique de l’original et son ouverture sur un autre espace, ainsi que sur d’autres perspectives. Le nu de Jackson n’est pas un corps anonyme, c’est une femme de ménage. Quand on regarde par le trou aménagé dans la porte, c’est donc une chambre de bonne que l’on voit, avec une porte ouverte au fond sur sa salle de bain, et même (en référence aux origines françaises de Duchamp) sur un bidet. La chambre de bonne donne aussi sur la salle à manger, dans laquelle la famille qui l’emploie (le père qui défèque partout, la mère qui allaite son enfant, le chien qui pisse) procède à un échange de fluides comique, des litres de peinture de différentes couleurs ayant giclé de leurs orifices sur les meubles environnants.
Cette extension thématique et architecturale de la pièce est reprise dans le dessin des personnages, qui évoque des choses aussi diverses que les mangas japonais, le symbole du smiley-face, et les sculptures hyper-réalistes de Duane Hanson. C’est aussi dans le dessin des personnages que le second procédé de transformation utilisé par Jackson se révèle : un changement de registre humoristique. Si l’œuvre de Duchamp repose sur un usage subtil et profond de l’ironie, celle de Jackson oscille entre l’humour pince-sans-rire et le grotesque. Ce dernier apparaît de prime abord dans la composition des personnages (la mère étant une pompe à peinture montée sur un corps de femme obèse, tandis que son enfant est un smiley-face gigantesque avec des pieds). Il est aussi présent dans la perspective acerbe de Jackson sur l’idéal de la famille dite «nucléaire».
L’artiste y déploie une version profondément philosophique du grotesque, qui n’est pas sans rappeler celle du satiriste allemand Salomo Friedlander. Ce dernier, dans un texte signé de son pseudonyme Mynona (un acronyme de anonym ou anonyme en allemand), avait défini le genre du grotesque comme une manière de mettre à nu la corruption de la normalité et de ses conventions en les caricaturant à l’extrême. Comme le Groteskenmacher ou «artisan du grotesque» de Friedlander, Jackson est un exterminateur (Kammerjäger ou «chasseur de chambre») de la «vermine» de «l’âme moderne». Tandis que Duchamp visait les rituels spéculaires et spectaculaires de l’art moderne, Jackson nous livre une comédie intime (Kammerspiel ou «pièce de chambre») de la vie moderne. Pour ce faire, il envahit les huis clos de Étant donnés d’un ensemble de personnages monstrueux crachant de la peinture, telle de la bile ou de l’urine, sur les décors de son roman familial. C’est une adaptation de Étant donnés pour l’époque de Jerry Springer (la téléréalité), et de John Hughes, et c’est précisément sa distance et sa différence par rapport à l’œuvre duchampienne qui en fait une adaptation si éloquente et si fidèle.
Article sur l’exposition
Nous vous incitons à lire l’article rédigé par Léa Bismuth sur cette exposition en cliquant sur le lien ci-dessous.
critique
Richard Jackson