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Revue des deux mondes : L’art, c’est-à-dire ?

Revue d’idées débattant et dialoguant sur des sujets de société. Ce mois-ci, un questionnement sur l’art qui entrecroise réflexions et analyses : l’esthétisme de l’art contemporain, l’appropriation des nouveaux médias, l’art contemporain à l’aune de l’art moderne, des entretiens avec Jean-Louis Schefer, Pontus Hulten, Orlan…

— Rédacteur en chef : Michel Crépu
— Éditeur : Revue des deux mondes, Paris
— Parution : mai 2004
— Format : 14,50 x 24 cm
— Illustrations : aucune
— Pages : 192
— Langue: français
— Prix : 11 €

Éditorial
par Michel Crépu

Le mot « art ». Qui, aujourd’hui, se sent capable de justifier son emploi ? Bien sûr, on peut toujours en appeler au Musée, au Chef-d’œuvre, au Tableau. Majuscules rassurantes mais bien peu encourageantes pour qui ne souhaite pas seulement être rassuré. Quelle étrange situation, en vérité : des milliers de visiteurs au Louvre, à Orsay, partout où il est entendu que l’Art est là — et avec lui, la Beauté ; et jamais le paysage n’aura été aussi brouillé, saturé de détournements et autres stratégies dont on ne voit pas toujours quel enjeu esthétique les anime. La vérité serait, en gros, celle-ci : la Joconde toujours là, recevant l’hommage anonyme du tourisme international tandis que pullulent un peu partout les petits-enfants de Marcel Duchamp…

D’un côté, la valeur sûre du chef-d’œuvre, de l’autre un dérèglement systématique des codes du grand art. Perception évidemment schématique, à laquelle il faut ajouter la multiplication de nouveaux outils de travail : du chevalet à l’écran vidéo, de l’estampe à l’art virtuel, etc. À l’époque, somme toute encore récente, où la notion d’avant-garde était encore opérationnelle, fût-ce sous le signe de la fin, on pouvait encore s’y retrouver, ajouter un chapitre supplémentaire à l’« histoire de l’art ». Cette possibilité semble éteinte pour de bon.

Sans doute est-ce la raison pour laquelle ce nouveau numéro pourra sembler au lecteur quelque peu hétéroclite : qu’est-ce qui fait lien entre la manipulation ludique d’un art vidéo et la question posée d’une expérience esthétique à la lumière des grandes philosophies comme l’indique ici-même Jean-Louis Vieillard-Baron ?

Quel sens même y a-t-il aujourd’hui à parler d’expérience esthétique ? Et même, qu’est-ce donc qu’une expérience : un jeu ? une aventure ? autre chose encore ? Le chemin parcouru depuis des années, dans une relation d’extrême intimité avec la peinture, par Jean-Louis Schefer prend ici une valeur quasi symbolique, fort éloignée de toute ambition « historienne de l’art » : se laissant interroger par le silence de la peinture — comme autrefois, l’œil claudélien écoutait — s’abandonnant même à ce qu’un tel silence peut nous confier sur la condition humaine, Jean-Louis Schefer éclaire nos doutes, ouvre un chemin. En effet, il s’agit bien d’une aventure singulière où l’épreuve du Beau n’est pas séparable d’un certain mystère. Non pas un mystère sacré, mais celui qui fascinait Malraux, naguère, devant les grands visages de l’art de Sumer et qui aujourd’hui anime le travail d’un Bill Viola. Mystère de la création, qui n’a peut-être jamais été aussi énigmatique qu’aujourd’hui.

Certes, ce numéro n’entend évidemment pas faire le tour de la question. Du moins aura-t-il tenté de formuler, à frais nouveaux, quelques hypothèses de travail, de faire courir un petit fil rouge entre diverses façons de considérer le problème. Il s’en trouve beaucoup d’autres qui manquent à ce sommaire. Est-ce si grave ? On se doute bien que l’affaire ne fait que commencer.

(Texte publié avec l’aimable autorisation de la Revue des deux mondes)

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