Martin d’Orgeval
Revoir
Presque trois décennies après la parution d’Allegorical Procedure, l’essai canonique de Benjamin Buchloh, la dialectique entre le «monde de l’art» et son autre «institutionnel» n’a peut-être jamais été l’objet de spéculation aussi sincère. Comment s’assumer dans un espace d’exposition institutionnel — musée ou galerie? Comment défaire les structures que nous avons légitimées et accroître notre degré de liberté dans la relation que nous avons avec les œuvres exposées?
C’est à l’aune de ces paramètres de pensée que l’on peut d’emblée situer l’exposition «Revoir» de Martin d’Orgeval, une série de photographies visuellement poétiques dépeignant — en termes spartiates — des structures géométriques abstraites.
A première vue, les images sont presque purement monochromes, avec des couches blanches, se teintant juste légèrement vers le gris, et se dépliant en ombres. Elles fonctionnent ainsi comme des outils visuels ayant pour effet d’aplanir les distinctions entres les différents objets dans l’espace.
Cette ambiguïté existe sur deux échelles, parmi d’autres. Dans les photographies elles-mêmes, l’uniformité chromatique et compositionnelle remet en cause la distinction entre image et cadre, de telle manière à permettre à l’œuvre de s’étendre à son espace environnant. Contextuellement, les photographies semblent fonctionner avec l’espace par assimilation; en d’autres termes, Martin d’Orgeval s’engage dans un processus d’internalisation, dans lequel ses œuvres sont — de manière élémentaire au moins — comprises comme immanentes, historiquement et idéologiquement, à leurs conditions d’exposition.
L’héritage remonte sans doute aux stratégies de l’avant-garde historique; cependant Martin d’Orgeval rapproche son travail des débats philosophiques actuels en réduisant la photographie à son élémentaire et strict minimum, afin de réexaminer des structures que nous tenons pour impérieuses. Cependant, alors que l’exposition suggère une révision des stratégies opérationnelles de celles et ceux s’inscrivant dans la critique institutionnelle de la fin des années 1980 et du début des années 1990, «Revoir» — et ses éléments concomitants — tente de placer le visiteur dans l’espace entre objet et sujet, davantage qu’à une extrémité ou une autre d’un ordre hégémonique.
Selon Martin d’Orgeval, l’extérieur séparé, discret et entier, n’existe pas, en dehors de l’encerclement que nous nous créons nous-mêmes, pas plus que sa remise en question ne lui apparaît être un concept productif. Il se situe en revanche dans un espace intermédiaire au sein duquel les schémas préexistants s’effondrent et les méthodes de l’observateur deviennent fluides et ouvertes.
En créant une ambiguïté de l’espace et des motifs architecturaux dans les photographies, la totalité est vécue comme déconstruite — autrement dit délivrée de ses contextes prescrits. Martin d’Orgeval s’écarte des traditions de la photographie pour précisément la libérer. Cependant cette liberté n’est pas nouvelle: elle dévoile quelque chose d’antérieur à la photographie en tant que medium de soi et en soi; un lieu, ou peut-être, plus spécifiquement, un non-lieu où le regardeur est invité à s’exiler et à contempler la photographie à travers son architecture. En cela, représentation et réflexivité sont l’une et l’autre évitées, laissant chaque pièce apparaître comme déliée de son cadre dialectique et infiniment ouverte sur le monde qu’elle partage.