PHOTO | EXPO

Rétrospective 1960-2010

14 Avr - 13 Juin 2010
Vernissage le 13 Avr 2010

A partir de cent-cinquante tirages d’époque, le parcours de l’exposition dévoile cinquante ans de travail de l'artiste italien Mimmo Jodice. A travers les villes qu'il a traversées et les motifs qu'il a photographiés, Mimmo Jodice dessine les contours de son propre paysage intérieur.

Mimmo Jodice
Rétrospective 1960-2010

Du 14 avril au 13 juin 2010, la Maison Européenne de la Photographie présente la première rétrospective de l’oeuvre de Mimmo Jodice, photographe majeur de la scène italienne.

A partir de cent-cinquante tirages d’époque, le parcours de l’exposition dévoile cinquante ans de travail et s’organise autour des thématiques suivantes: Expérimentations et recherches (1964-1978), Social (1969-1977), Naples (1978-1980), Relecture (1980-2009), Méditerranée (1986-2009), Eden (1994-2009), Nature (1995-2009) et enfin Mer (1998-2009).

Sans doute, pour l’Italien Mimmo Jodice, fallait-il en passer par l’expérimentation conceptuelle et le témoignage social pour parvenir enfin, dans la pleine maturité de son oeuvre, à requérir le silence et le vide. Les éléments primordiaux. La mer enfin, lorsque paysage intérieur et paysage extérieur se rencontrent, se dialectisent, ne font plus qu’un. Un paysage rêvé, originel.

Dans les années 1960-70, années que l’on peut qualifier de «conceptuelles», Jodice, à l’instar de nombreux artistes, s’interroge sur l’essence du medium photographique. Admirateur de l’Anglais Bill Brandt, il en reprend les exercices de déformation ainsi que la puissante dramatisation du noir et du blanc à laquelle il restera toujours fidèle, ne cédant jamais au charme de la couleur qui brouille l’essentiel, infléchit vers l’anecdotique, le pittoresque.

Mais il interroge aussi, assidûment, les matériaux, les techniques et les formes, jouant sur fragmentations, séquences, flous, surimpressions, virages et photogrammes, déchirures aussi, lorsqu’il déchire une oeuvre de Kounellis, artiste de l’arte povera, les vieilles maisons décrépites, les paysages du Sud de l’Italie. La déchirure comme la métaphore d’un désir, d’une volonté d’art très tôt assumée: ne jamais croire à la représentation immédiate, construire, élaborer toute représentation grâce à un devenir-image du réel.

Pourtant, et l’on peut légitimement s’en étonner, c’est dans un même temps, un même mouvement que Jodice poursuit ses expérimentations formelles et se veut le témoin de la réalité sociale de Naples. Naples la ville-origine, la ville matricielle, dont Jodice aimait à dire qu’elle était «la photographie». Soit, certes, une ville extraordinairement photogénique, mais aussi une ville qui questionnait le photographique.

À Naples, donc, Jodice se fait témoin. Mais en aucun cas il ne pratique un reportage de «l’instant décisif» et, s’il choisit des sujets que l’on qualifiera d’extrêmes — très jeunes enfants et vieillards très âgés, prison, maladie, rites religieux et marges du — moins encore produira-t-il des images-choc, comble de la vulgarité pour l’aristocratie de son regard. Photographiant des enfants et des vieillards, Jodice, loin de toute sensiblerie voyeuriste, s’essaye à «imager» l’essence de ces deux âges extrêmes, comme il tente d’approcher l’âme, le «génie du lieu» de cette ville si singulière qu’est Naples. Pas de repli facile sur le pittoresque donc, mais un refus total, acharné, du topos, du lieu commun, de l’image-cliché. Jamais la Naples de Jodice ne sera celle des bruits, du chaos, des vespas qui crissent sur les venelles, des matrones qui échangent d’un balcon à l’autre, des ragazzi qui jouent aux quatre cents coups truffaldiens.

Sous l’objectif de Jodice, Naples se vide, s’épure, se tait. Ne reste que l’essentiel, non point la vie turbulente, les couleurs, les gestes et les cris, mais une lumière métaphysique et, bientôt, les vestiges de l’origine que l’artiste capte à travers des vedute qui l’affilient aux grandes vedutistes italiens du XVIIIe siècle.

Il en va de même pour la folie, sur laquelle Jodice s’est interrogé: ici, nul corps hystérisé, nul hurlement paranoïaque, et pas davantage la dénonciation critique de ce que pourrait être l’enfer asilaire de ces années-là. Reste une photographie célèbre: un homme âgé qui dissimule son visage derrière le carré roidement géométrique d’un mouchoir tendu par ses mains.

Le visage humain, ainsi, peu à peu disparaît. La lumière se fait, et déjà s’annoncent les masques antiques, de marbre, bronze ou mosaïque, dont les yeux écarquillés, hallucinés, nous fixent encore, nous appellent à eux, nous convoquent, et dont les bouches grandes ouvertes prononcent les mots de l’origine. Dès lors, Jodice passe d’une vision sociale de l’Italie à une représentation photographique de l’art italien, tandis que l’histoire de l’humanité et l’histoire de l’art en viennent à coïncider.

Parallèlement, les signes baroques de la mort infiltrent l’oeuvre: crânes et squelettes qui évoquent les Vanités picturales, mais aussi dépouille du Christ, madones figées, hiératiques, mortes peut-être sous les cloches de verre qui les emprisonnent, et cette voiture, photographiée à Naples, immobile, défunte de toute vitesse, tout entière recouverte d’une housse blanche comme d’un catafalque.

Dès lors, la ville se tait: la voiture, à laquelle les Futuristes italiens vouaient un véritable culte et qui demeure, à bien des égards, un des marqueurs de la modernité, se voit remise à sa juste place. Car ses vrombissements frivoles doivent laisser entendre, enfin, le silence.

De fait, dans les villes qu’il photographiera, de Naples à Paris, de Boston à São Paulo, d’Arles à Moscou, Jodice choisit de ne pas voir la laideur d’un certain urbanisme hérité de l’utopie moderniste, et pas davantage les rues, avenues, routes, périphériques et flux de voitures, et moins encore ce que Marc Augé a pu qualifier de «non lieux», ces lieux de la postmodernité où l’on ne saurait ni séjourner ni vivre, lieux de passage, de transit et d’échanges. Jodice ne voit pas l’extraordinaire laideur des métropoles de l’extrême contemporain car, face à son objectif, la ville se fait «ville-image». «Ville-musée».

De même, lorsqu’il capte une station balnéaire comme Rimini ou Capri, rien ne lui est plus étranger que le documentaire cynique, auquel une certaine
photographie nous a habitués, des us et coutumes, des travers et ridicules des estivants.

Naples, le décor de Gibellina, la citadelle du monastère de Sant’ Orsola, les paysages d’Arles et même les objets extraits du quotidien tels des ready-made amènent progressivement Jodice vers le coeur d’une oeuvre désormais mature: la mer Méditerranée, féminine et maternelle, creuset de notre culture, de notre histoire.

Jodice: «Tout ce que nous rencontrons est finalement un paysage intérieur.» Ne reste plus que l’essentiel: le ciel, gonflé de lourds nuages cotonneux, la mer qui frissonne sous le vent, les rochers, tavelés d’écume. Les quelques traces de l’humanité sont rares, timides: ici un bateau, là un piton, ailleurs une corde. De corps, de visages, point. Tout le paysage vibre de lumière, tandis que la subjectivité de l’artiste se fond avec l’objectivité des éléments.
Les Dieux n’ont pas déserté notre monde. Ils sont là, vivants, pour celui qui, dans le silence d’un présent cacophonique, se met à leur écoute.

AUTRES EVENEMENTS PHOTO