Par Franck Waille
Cela fait un quart de siècle maintenant que Lyon accueille la danse aux derniers jours de l’été et à l’aube de l’automne, relevant le défi de nous faire croire que la période des festivals estivaux peut se poursuivre au-delà d’août.
Pari réussi au regard des chiffres : 42 compagnies réunissant 600 artistes de 40 nationalités ont attiré plus de 84.000 spectateurs, soit un peu plus qu’il y a deux ans, où ils étaient alors un peu plus nombreux que les deux années précédentes etc. Des chiffres, encore, pour le défilé de la Biennale, petit frère des carnavals brésiliens, qui est devenu la plus grande parade dansée d’Europe et qui a séduit 350.000 spectateurs. Pari réussi aussi en termes de rayonnement international, car si les dates choisies privilégient le public lyonnais, des journalistes du monde entier couvrent l’événement, et surtout l’on s’est déplacé de loin pour venir découvrir un peu de la riche programmation de ces plus de trois semaines de danse autour des thèmes de la mémoire, du répertoire, de la transmission et de la création — nous avons ainsi croisé un chorégraphe texan venu en curieux.
La diversité de la Biennale de la danse ne se décline pas uniquement en termes de programmation, mais aussi en termes de propositions et de portées des actions menées. Ainsi, le spectateur a eu de multiples occasions d’entrer dans la danse, que ce soit lors des cours de tango offerts plusieurs fois par semaine sur la place des Terreaux, ou lors du projet « Tu vois ce que je veux dire ? » qui lui a permis de déambuler puis d’improviser les yeux bandés, ou encore pour la chorégraphie collective « Les lecteurs »qui permettait à des enfants et à des adultes de faire une vidéo-danse montée en direct et projetée dans la foulée. Les organisateurs de la Biennale mettent en valeur cet aspect social, fidèles à l’une des idées d’origine de la danse moderne d’aller vers le plus grand nombre et de déchiffrer des terra(s) incognita(s).
La diversité de la Biennale 2008 s’exprimait également au niveau de la palette des spectacles proposés, allant du plus conventionnel à des pièces fondamentalement expérimentales, qui ne sont pas forcément les plus récentes. On pouvait y trouver les solos improvisés dans la rue du Québécois Paul-André Fortier ou la dernière super-production chorégraphique d’Angelin Preljocaj, Blanche Neige ; la danse intimiste de la chinoise Wen Hui dans Memory et le hip-hop performatif de Mourad Merzouki transmis dans Agwa aux jeunes Brésiliens de la Companhia Urbana de Dança ; l’esthétique néo-classique du Balletto Teatro di Torino avec Primo toccare, ou la danse résolument contemporaine de la Companhia Sociedade Masculina — des Brésiliens encore — qui, avec Palpable et Tropicalia ont démontré qu’une grande virtuosité peut se mettre au service d’une expressivité subtile et énergique.
Ce fut l’un des grands intérêt de cette treizième édition de la Biennale que de permettre de redécouvrir, ou simplement de découvrir des œuvres et des créateurs qui ont ouvert des chemins il y a dix ans, vingt ans ou quarante ans, comme la chorégraphe américaine Anna Halprin dont l’une des structures d’improvisation les plus fameuses, Parades and Changes de 1965, reprise par un collectif de chorégraphes français, garde aujourd’hui encore toute sa pertinence. Les Petites pièces de Berlin de Dominique Bagouet, remontées par le Ballet de Lorraine, nous ont murmuré que la danse peut être un acte résolument poétique, qui surgit de l’ombre et de l’immobilité, qui est lumière et mouvement. Le Legend Lin Dance Theatre, reprenant des cérémoniels chinois conservés à Taiwan dans Miroirs de Vie, rappelait qu’au sein de la danse est inscrite la dimension sacrée, ce qui était le cas chez nous aussi puisque les chœurs de nos églises étaient originellement des espaces pour danser. Suzanne Linke, en remontant Schritte Verfolgen, montre la force dramatique d’un corps seul, animé par le souffle qui propage le geste du cœur aux extrémités des doigts et des pieds.
Impossible de dire un mot de chaque spectacle. Mais une évidence s’est peu à peu imposée : le retour aux sources a bel et bien eu lieu, au-delà de tout projet des organisateurs. Est ainsi apparu dans maintes productions cette ligne onduleuse qu’Isadora Duncan, à laquelle la danse d’aujourd’hui doit tant, considérait comme à l’origine de tout mouvement véritablement expressif. Elle était là , presque caricaturée, dans les waves du hip-hop ; elle était là dans la vague qui se déploie au cours de Chant VI de la compagnie lyonnaise Anou Skan ; elle était là encore dans cette étonnante vague de corps nus, de papiers déchirés projetés dans les airs et de lumière de l’un des tableaux de Parades and Changes ; elle était là enfin, pareil aux balancements doux de la mer qui apparaissaient sur les écrans du Geshwin d’Hervieux et Montalvo, dans le corps de Carolyn Carlson, images d’archives projetées en écho à la Blue Lady dansée par Tero Saarinen, et dans le corps de Carolyn Carlson, encore, au cœur de sa Double vision, qui suggérait que cette ondulation de tout l’être est comme une lame de fond qui traverse une certaine danse, celle qui nous touche le plus.
Guy Darmet, directeur artistique de la Biennale, porté par l’énergie de l’événement, a suggéré de faire du 21 septembre une fête de la danse, comme il existe une fête de la musique pour entrer dans l’été. 21 septembre, début de l’automne… La danse ne mériterait-elle pas plutôt d’ouvrir le temps de la renaissance, de la sortie de l’hiver et de la montée de la sève, d’être fêtée le 21 mars, qui fut, en des temps anciens, le début de l’année en Occident ?