Anne Deguelle
Résidence (2)
Si le terme «résidence» désigne le séjour d’un artiste dans un lieu où il est invité à travailler, réfléchir, et éventuellement créer, il sous-entend aussi, pour lui, le fait de résider hors de son lieu de vie et de production familier.
Placé soudainement loin de son point d’assise habituel — residere: être assis — il doit concevoir une œuvre, alors même qu’il est séparé de son univers de création.
Mais cette position d’exil lui offre un regard plein d’étonnement et d’acuité qui permet des approches nouvelles et ouvertes sur le monde. C’est cet état fugace et instable qui est présenté ici.
Lors d’une résidence d’artiste à Fécamp en 2002, l’expérimentation se déroula à partir d’une anecdote: la présence de la bouteille de Bénédictine de Fécamp dans une note de Marcel Duchamp sur le Grand verre, œuvre qu’il travailla de 1912 à 1923, et à laquelle il donna le titre fameux La mariée mise à nu par ses célibataires, même.
Le rapprochement entre la conception du Grand verre et la structure de l’usine Bénédictine a alors suscité chez le personnel un intérêt certain pour l’histoire de l’entreprise qui put se manifester au cours de rencontres, d’interviews, et lors de témoignages d’anciennes ouvrières (les vierges orphelines). Cette recherche collective aboutit alors à la mise en place, avec l’artiste, d’une grande installation de 80 m2 nécessitant l’habillage de 1000 bouteilles en papier blanc virginal.
La vidéo Résidence, réalisée au cours du montage de cette installation, est montrée ici. Elle prend la forme d’une projection sur les murs de la galerie et sur des armoires industrielles contenant les documents relatifs au Grand verre.
La présence d’un grand écran blanc tout au long de la vidéo, celle d’un personnage énigmatique lisant près d’une fenêtre, orientent la lecture vers celle d’une séquence et non d’un document.
Résidence est aussi le titre d’une série photographique également réalisée à Fécamp. Ces images de la mer et de plages désertées font ressentir la situation d’étrangeté vécue par l’artiste, mais aussi, ouvrent une perspective sur l’immensité, et apportent un contrepoint infini au lieu fermé, limité et encombré du travail humain.