Comme souvent, l’incrédulité du regard de l’art marque le pas sur l’air du temps. A l’heure des inquiétudes concernant le climat et les réserves d’énergies fossiles, à l’heure de la grande nostalgie d’une nature indemne des blessures que lui aurait infligé l’homme, la proposition de Mathilde Rosier veut interroger à nouveaux frais l’hypothèse d’une nature des origines indépendante du regard qui est posé sur elle.
En effet, toute l’histoire de l’art pourrait s’articuler à une autre histoire, plus discrète, qui serait celle de la compréhension de la nature par l’homme. Il y eut les temps durant lesquels les êtres intelligents étaient intimement convaincus que le monde était tout entier organisé en fonction de leurs besoins. L’art alors savait rendre grâce aux dons de la nature, repérer les invariants qu’elle proposait pour en déduire les canons d’une beauté idéale. Puis vint le temps des désillusions, la civilisation donnant à voir ses limites, ses contraintes et ses dangers.
L’art devint nostalgique des temps anciens, rêvant de périodes antéhistoriques à l’heure desquelles régnait une harmonie entre la nature et les êtres vivants qui l’habitaient.
Avec la modernité baudelairienne, tout à coup, la nature changea de visage: vaste machine à produire de l’espèce, elle n’est plus bonne qu’à neutraliser la richesse individuelle en l’enfermant dans le cycle infernal des naissances et des morts. Livrée à elle-même, la nature n’est que jungle et barbarie débridée.
Dans cet état d’esprit, l’art remplit alors une fonction civilisatrice, annoncée comme la seule solution pour endiguer la violence archaïque des pulsions de vie. C’est alors l’avènement d’un art de l’artifice, du maquillage et du décor qui assimile le créateur au jardinier qui « cultive » son jardin et maîtrise la sauvagerie.
A sa façon, Mathilde Rosier semble vouloir revisiter cette passion qui lie et délie l’homme à la nature qui l’entoure. Car, comme dans toutes histoires d’amour, ici encore la question est un enjeu de pouvoir: qui, du terreau chaotique des origines, ou de l’intelligence organisatrice, prendra l’ascendant sur l’autre? C’est bien de cet état d’incertitude dont nous parle Mathilde Rosier quand elle fait l’inventaire des oiseaux en voie de disparition. Elle choisit pour cela de les présenter dans une vitrine, sous la forme de supports en cartons découpés, recouverts du portrait de l’animal prélevé sur un papier peint.
Cette «réserve des forces hostiles» envisage la nature comme un puits énergétique indispensable, qu’il s’agit toutefois de maîtriser par la force de l’art, de l’arrangement pédagogique, de l’inventaire scientifique, de l’assemblage décoratif. Chaque oiseau devient alors une menace tout à la fois momifiée et transcendée par la création.
Tout bien réfléchi, le rapport que l’homme entretient avec la nature est affaire de projection, d’imaginaire et de fantasme. Tantôt figure maternelle généreuse, tantôt oiseau de nuit qui observe la vie à son insu, la nature n’est qu’un déguisement qui ressemble à nos rêves.
Comme l’écrit Mathilde Rosier: «Probablement le monde existe-t-il en dehors de la perception que nous en avons. Mais même s’il semble raisonnable de penser que les choses sont en elles-mêmes leur propre fin et que nous ne sommes pas la finalité de l’univers, nous ne pouvons y croire».
Une telle incrédulité est mise en scène dans une autre grande installation de carton peint, qui mêle l’évocation d’un paysage de nuit et celle d’un corps de femme offert, au-dessus de laquelle flotte un grand duc.
Le spectateur peut tourner autour du lit qui supporte le décors, passant ainsi dans les coulisses de la mise en scène. Véritable Alice en quête de miroir à traverser, Mathilde Rosier semble nous dire que nous ne parviendrons jamais à atteindre la «vérité naturelle du monde», tant nous sommes aveuglés par nos théâtres intérieurs.
De voiles en voiles, de rêves en rêves, nous sommes à jamais aux prises avec une quête perdue d’avance de la vérité du monde, qui ne nous apparaît que sous les traits de nos projections. Comme le donne à entendre l’ultime installation de carton, tous les technocrates du monde pourrons toujours chercher à faire rendre raison à l’oiseau de nuit qui plane au-dessus de nos rêves, celui-ci nous renverra toujours ce regard opaque sur lequel se reflète nos secrets.
Mathilde Rosier
— Glamour, 2007. Gouache sur papier. 113 x 82 cm.
— La Chambre, 2006/2007. Installation, technique mixte. 200 x 210 x 170 cm .
— Main et papillon, 2007. Gouache sur papier. 137 x 150 cm.
— Le Grand Duc, 2007. Gouache sur papier montée sur carton. 210 x 124 x 32 cm.
— La jeune fille en bleu, 2007. Gouache sur papier. 130 x 100 cm.
— The Bird Reserve ou plutôt en français : La Réserve des oiseaux, 2006/2007. Installation, technique mixte. 147 x 93 x 37 cm.