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Répétition publique de C extra

De nos jours, plus de spectacle sans projection d’images, on dirait. En fait, cela a toujours été le cas : Georges Méliès utilisait la lanterne magique pour ses fantasmagories lumineuses au théâtre Robert-Houdin ; Loie Fuller, les projections colorées dans ses féeries de ballets fantastiques. Soixante ans avant William Viola, Germaine Dulac usait du film comme d’un élément dramatique dans la mise en scène d’opéra. On ne parle même pas des J.O. de Berlin de 1936 avec ses centaines de danseuses labano-wigmaniennes et d’athlètes-figurants, filmés sous toutes les coutures, dont les performances étaient, à ce qu’il paraît, retransmises en direct, par télévision, dans une vingtaine de salles de théâtre. Avec les films « élargis » lettristes, les « events » de John Cage et Merce Cunningham, certaines pièces de Trisha Brown, Lucinda Childs, Bob Wilson, les collaborations entre Mark Tompkins et Luc Riolon ou entre Philippe Decouflé, Dominique Willoughby et Laurent Radanovic… se sont peu à peu précisées les relations entre le théâtre et son double -— le film, la vidéo, la capture du mouvement.

Dans le cas qui nous occupe, on ne peut pas dire que Françoise Tartinville ait révolutionné le domaine ou qu’elle ait manifestement innové en la matière. La question ne se pose pas en ces termes-là. Il conviendra de souligner toutefois le côté bricolé de l’entreprise, les rapports élémentaires entre le son et l’image, l’intrusion discrète des capteurs et d’une caméra infrarouge, la taille modeste des images qui, encore heureux ! ne nous distraient pas outre mesure des autres composantes du spectacle, à commencer par les danseuses. Tout cela finit par produire du sens. Et de la sensation.

On n’en était certes qu’aux filages et on avait dû, pour des raisons pratiques, escamoter la première partie du spectacle. Malgré tout, malgré quelque problème technique — signalé après coup alors que personne ne s’en était rendu compte —, les tableaux s’enchaînaient quiètement ; on passait des pas de deux doucets à des variations dans lesquelles se jouait le style de chacune ; on avait l’intuition que les images étaient « manipulées » par les deux jeunes interprètes — en réalité, celles-ci ne contrôlaient pas totalement la situation : la logistique, hors champ, et le logiciel de l’ordinateur s’en chargeaient à leur place. Tel quel, le show était plaisant et, en tout état de cause, fonctionnait : cela le faisait.

Tantôt l’image — un clip « expérimental » à l’aspect breneux assumé, à base de silhouettes bleutées, péchant par manque de pêche, de piqué et aussi, nous a-t-il semblé, de structure — était projetée sur le grand écran du fond, tantôt celle-ci se matérialisait sur d’autres surfaces sensibles ou tangibles comme le dossier du seul meuble dont la production ait fait l’emplette, un siège sans bras communément appelé « chaise » ou bien le maillot sans manche couleur chair d’une danseuse ou, tout bonnement, le parquet. Probablement par horreur du vide, la chorégraphe avait demandé aux jeunes gens de la vidéo de ne pas lésiner sur les effets spéciaux, de ne pas hésiter à occuper le devant de la scène, le cas échéant. La fonction d’« ameublement » de l’image, pour reprendre un terme ayant fait florès et qui n’avait rien de péjoratif dans la bouche ou sous la plume d’Erik Satie, autrement dit : l’usage décoratif du multimédia (de l’image comme de la bande-son, « lounge », « house », voire « disco », « composée » un peu dans le même état d’esprit) avait pour conséquence de quadriller, de saturer de modeler et de moduler l’espace, engendrait des mosaïques mobiles, un défilement discontinu de rectangles et de bandelettes colorées, déroulait un jeu de l’oie (ou de loi ?) virtuel à même le sol. On se sentait téléporté à l’époque du psychédélisme et des « light shows ».

Coiffée d’un micro-casque comme celui de Madonna, Véronique Weil accélérait comme elle pouvait le rythme de sa respiration et produisait, via ses petits poumons, des formes abstraites qui étaient aussitôt amplifiées sur le mur du fond. Il faut dire que l’équivalence entre les ondes sonores et les fréquences visuelles, pressentie par les poètes et les musiciens (« Regarde avec tes oreilles », écrivait Shakespeare), a été prouvée scientifiquement depuis longtemps. La métaphore est devenue réalité avec la musique et les images de synthèse.

Après diverses séries où les danseuses ont enchaîné attitudes debout, crispations faunesques, accroupissements et rampements au sol, contacts du bout du coude, de la tête, des genoux, des orteils, jeux caressants tout ce qu’il y a de plus simples, mouvements savants, gestes sportifs, poses alanguies d’une capoeira alentie et déstructurée, ondulations serpentines, contorsions cabaretières, entrecroisements et esquives, glissements progressifs, changements de place, tirages de langue maoris, on a eu droit à un jerk stylisé et sensuel sur fond de ligne de basse, éclairé comme dans une discothèque d’antan. L’état de transe n’était alors pas loin. La plus fluette a défait sa crinière corbeau pour s’en voiler la face : « Des cheveux qui tombent comme le soir / Et d’la musique en bas des reins », c’est précisément ce que chantait Léo Ferré dans C’est extra

— Chorégraphe : Françoise Tartinville
— Interprétation :
Déborah Lary, Véronique Weil
— Collaboration artistique : Nicolas Delétoile
— Composition sonore : Didier Léglise
— Vidéo, Stéphane Broc : Didier Léglise
— Système interactif : Didier Léglise
— Costumes : Isabelle Deffin

 

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