Éloignés les uns des autres sur le plan des matériaux utilisés, les artistes réunis par Alain Gutharc se rencontrent cependant du point de vue de leurs démarches, axées sur le retrait du monde des vivants ou des objets.
Meeting 2 et Meeting 9 de Joachim Schmid sont des reproductions de photos ou, plus justement, de clichés tant leurs sujets sont rebattus: couples d’amoureux sur la plage, allongés sur des transats ou batifolant dans l’eau. Chacune de ces œuvres est donc l’image d’une image d’une image. Car, plus qu’une copie d’une simple photo préexistante, chacune d’elle reproduit la photo d’une situation stéréotypée, c’est-à -dire calquée sur une représentation sociale. On pense inévitablement à la célèbre formule de Guy Debord: «Le monde s’est éloigné dans une représentation».
Avec Philippe Million le retrait n’est pas du côté du monde mais des choses. Designer, il conçoit des objets dont la fonction n’est pas immédiatement visible et qui, de fait, troublent la perception. Ici, Étagère (orange), Patère 5 crochets (rouge) et Patère 1 crochet (brun), présentent des formes derrière lesquelles s’éclipse la fonction. Difficile de déterminer l’usage de deux boîtes fixées au mur et recouvertes de miroirs, ou encore, d’une sorte de banc composé de barres en fer. Il s’agit en réalité de deux portes manteaux et d’une étagère.
Si on rate dans un premier temps la rencontre avec ces objets, qui eux-mêmes annulent le rendez-vous entre la fonction et la forme, c’est au bénéfice d’une ouverture des possibles. Sans utilité apparente, libre à chacun d’utiliser ces pièces comme bon lui semble, en tant qu’œuvre d’art ou mobilier.
Based on a True Story, un fruit en céramique percé par un ver, déjoue également nos attentes. Alors que le procédé utilisé est une manière d’éterniser le périssable, il éternise ici le processus même de décomposition. Par ailleurs, censée immortaliser le «beau», la céramique embaume ici ce qui est communément considéré comme «laid».
Les peintures de Luc Andrié visent, quant à elles, une moindre présence, une matérialité réduite au minimum pour une infime vibration. L’une d’entre elles, L’Homme blanc n’a plus de peau «2008 (30)», laisse émerger sur un fond beige un homme quasiment nu. Comme à l’arrière d’un verre opaque, on ne perçoit que très légèrement sa chaire rose vif. Il semble nous faire signe avec son bras levé et son regard perdu. Mais, sa corporéité fantomatique nous sépare à jamais de lui.
Enfin, avec la vidéo Sant titre (nature morte), EstefanÃa Peñafiel-Loaiza donne à voir des images et des phrases auxquelles manquent, pour être intelligibles, d’autres images et d’autres mots. La caméra tourne inlassablement autour d’une table de petit-déjeuner désertée. Des poncifs, tels que «Je voulais t’en parler», «Vaut mieux qu’on se quitte», ou encore «Ce n’est pas dimanche tous les jours», s’inscrivent par intermittence au bas de l’écran.
Si des morceaux manquent pour reconstituer le puzzle, c’est peut-être parce qu’ils sont inutiles. En effet, l’historiette en question rencontre suffisamment d’images et de paroles dans la vie de tout un chacun.
Luc Andrié
— L’homme blanc n’a plus de peau « 2008 (30) », 2008. Acrylique sur toile. 165 x 110 cm.
Philippe Million
— Étagère (orange), 2008. Tubes avier thermolaqués. 140 x 45 x 85 cm.
— Patère 5 crochets (rouge), 2008. Acier thermolaqué et miroir. 110 x 20 x 15 cm.
— Patère 1 crochet (brun), 2008. Acier thermolaqué et miroir. 25 x 20 x 15 cm.
EstefanÃa Peñafiel-Loaiza
— Sans titre (nature morte), 2003. Vidéo 4’15’.
Guillaume Pilet
— Base on a true story, 2008. Céramique émaillée. 18 x 18 x 26 cm.
Joachim Scmid
— Meeting 2, 2008. Pigment inck print. 42,5 x 53 cm.
— Meeting 9, 2008. Pigment inck print. 42,5 x 53 cm.