Catherine Malabou
Rencontres philosophiques. Membres fantômes: le corps entre phénoménologie et neurologie
Membres fantômes: le corps entre phénoménologie et neurologie
en regard de Muerte y reencarnacion en un cowboy de Rodrigo Garcia
L’expérience du membre fantôme est décrite par des patients ayant subi une amputation: à l’endroit où se trouvait initialement le membre disparu, ceux-ci ressentent encore toujours de la douleur. Dans la Phénoménologie de la perception, Merleau-Ponty a recours à Freud pour expliquer ce phénomène: il s’agirait du refus de se confronter à la perte. Les neurologues proposent aujourd’hui une autre explication. On étudiera en particulier les travaux de Damasio et Ramachandran sur ce point, montrant comment lé neurologie développe une nouvelle vision du corps à partir des cartes neuronales et des marqueurs somatiques.
Repères biographiques
Catherine Malabou est professeur au Centre for Modern European Philosophy de l’Université de Kingston (Royaume Uni). A la suite de travaux portant sur la notion de plasticité chez Hegel et Heidegger, elle a exploré cette notion en esthétique (pourquoi les arts sont-ils dit plastiques?) et en neurologie (pourquoi parle-t-on de plasticité du cerveau?).
Elle travaille actuellement sur les enjeux biopolitiques et thérapeutiques liés au corps. Parmi ses publications récentes: Les Nouveaux Blessés. De Freud à la neurologie, penser les traumatismes contemporains, Bayard 2007; Ontologie de l’accident, Léo Scheer, 2009; La Chambre du milieu. De Hegel aux neurosciences, Hermann, 2009; Changer de différence, Galilée, 2009; La Grande Exclusion, avec Xavier Emmanuelli, Bayard, 2009; Sois mon corps, avec Judith Butler, Bayard, 2010.
Conférence dans le cadre des rencontres philosophiques organisées par Emmanuel Alloa
Que peut un corps?
«Le corps, cette «chose insensée» comme l’appelait Platon, nous accompagne en permanence et nous n’en savons pourtant si peu, insensibles par définition à cette chose que nous sommes plutôt que nous ne l’avons. Présence discrète qui accompagne et rend possible tous nos mouvements, nous ne pouvons en faire le tour ni le ranger une fois que nous nous en sommes servis. Pour tout être incarné, le corps empêche pour ainsi dire perpétuellement sa propre saisie, puisqu’il ne se laisse jamais envisager de face. Sont-ce alors encore vraiment des corps, ces surfaces lisses et surexposées que nous avons désormais inlassablement sous les yeux et dont le grain nous renseigne pourtant si peu sur ce qu’est la chair?
Face à l’exposition et à l’exploitation des corps –autrement dit: face à leur épuisement– il s’agit de repenser pourquoi ce corps dont on n’aura jamais fait totalement le tour est aussi ce qui, en un certain sens, demeure constitutivement inépuisable. «On ne sait pas ce que peut un corps» affirmait Spinoza, déplaçant ainsi la question philosophique traditionnelle de l’essence vers celle de ses puissances et de ses effets.
Plus que jamais, le corps semble être aujourd’hui l’objet de tous les phantasmes d’objectivation, phantasmes qui à leur tour ne sont contraires qu’en apparence à l’idée d’un corps comme matière plastique, modelable à souhait. Face aux enjeux biopolitiques d’un corps qui serait tout entier à disposition, il s’agira de suivre le fil de cette proposition: un corps est une puissance parce qu’il peut se soustraire au passage à l’acte.»
par Emmanuel Alloa