Martin Schick, Damir Todorovic
Rencontres Chorégraphiques. Holiday On Stage
On connaît Holiday on Ice, spectacle inusable de patins à glace qui tourne dans le monde entier depuis plusieurs décennies. Le Suisse Martin Schick, accompagné du Serbe Damir Todorović, lui répond avec ce Holiday On Stage féroce, subtil et drôle. On y voit deux hommes qui reçoivent un prix, énoncent des assertions le plus sérieusement du monde, lèvent la main en signe d’accord, se demandent quoi faire, un quizz, un drame, une pub, une sitcom, se battent et dialoguent à coup de titres de chansons ou de films, plantent un décor quotidien avec aspirateur et portant, et soudain font face à des individus qui, comme eux, comme tous, veulent être des artistes.
Ce faisant, ils exposent les noces de l’artiste et du capitalisme, les désirs qu’ils suscitent et la compétition sans fin qui en découle, dans une société dans laquelle il est de plus en plus difficile de se faire une place —le canapé est rapidement trop petit pour les cinq aspirants artistes et il leur faut multiplier les idées pour tenter de capter l’attention du public, comme le ferait un bonimenteur de foire. En bons individus contemporains, baignés dans le flux médiatique, ils n’hésitent d’ailleurs pas à convoquer les stars et les hits : Benazir Bhutto et Mère Teresa, Paris Hilton et Giorgio Armani, Jacques Lacan et France Telecom, tous à égalité. Tout comme les logos des partenaires qui ornent le grand panneau blanc qui sert de fond de scène: l’artiste est désormais un entrepreneur, un vendeur de lui-même qui doit se distinguer dans une masse où tout se vaut.
Holiday On Stage réussit ainsi à être à la fois un anti-spectacle parfaitement réussi qui dévoile et met en scène les coulisses et, dans le même mouvement, un spectacle total et jubilatoire. Avec un sens du timing, du dévoilement, de l’espace et des corps, Martin Schick et Damir Todorović jonglent joyeusement avec le sens littéral et la métaphore, déploient une inventivité folle derrière une apparente nonchalance et insèrent au beau milieu du jeu un pur moment de danse contemporaine, poétique, forte, troublante, qui soudain oblige à changer de focale. Finalement, Holiday On Stage redit à sa manière légère et ironique qu’il s’agit peut-être essentiellement de cela, en art : parvenir à déplacer le regard.