Cindy Van Acker
Rencontres Chorégraphiques. Drift
Création
Le mot drift signifie en anglais la dérive, la colère, l’ardeur ou la pulsion en néerlandais, langue maternelle de la chorégraphe Cindy Van Acker. En français, c’est un terme de géologie qui désigne les matériaux charriés par les glaciers. Tous viennent cependant d’une même étymologie indo-européenne: le drift est ce qui pousse, provoque et conduit l’action, mais il deviendra, par les mystères de l’évolution linguistique, ce qui la subit. Cindy Van Acker s’est emparé de cette polysémie et y a ajouté le drift comme dérapage contrôlé, qui débouche sur une composition de mouvements qui s’imposent au corps, dans une sorte de chaos maîtrisé, un plaisir de l’errance, un flottement, un glissement progressif qui ouvre d’autres espaces.
Avec ses complices habituels à la lumière, au son et à la scénographie (Luc Gendroz, Denis Rollet et Victor Roy), Cindy Van Acker propose une pièce épurée, à l’intense beauté plastique, dans laquelle la lumière sculpte les corps en lent et constant mouvement et devient un élément autonome, halo palpitant qui se promène ou Led blanc qui se met à vibrer sur une musique lancinante.
On pense à Pierre Soulages devant cet espace qui sculpte le noir et en fait surgir une matière dense. La chorégraphe évoque, elle, le jeu chinois du Tangram pour parler du travail sur la lumière. Mais la pièce entière répond à la légende de ce jeu. L’histoire raconte en effet qu’un empereur chinois du XVIè siècle fit tomber un carreau de faïence qui se brisa en sept morceaux. Il n’arriva jamais à les assembler pour le reconstituer mais il s’aperçut qu’avec les sept pièces il était possible de créer des formes multiples. C’est à cette même proposition que convie la pièce : à partir des corps des deux interprètes, elle compose des figures, en miroir, en relais, en symbiose pour finir par fusionner les mouvements, confondre les images, et faire surgir de nouvelles formes.
Drift concrétise ainsi une longue et fructueuse collaboration entre Cindy Van Acker et Tamara Bacci. Leur entente participe de la beauté de ce duo, dans lequel elles partagent l’espace et le temps avec une précision et une douceur extrême. Le corps devient ici un vecteur de sensations pures. Comme l’affirme la chorégraphe: «Je ne veux aucun lyrisme, aucun romantisme. Ce que la danse peut offrir en propre, c’est de l’abstraction».