Taroop & Glabel, François Coadou
Rencontre entre Taroop & Glabel et François Coadou
Le Frac de Basse-Normandie présente L’instinct des modules, récents développements de l’œuvre du collectif d’artistes Taroop & Glabel. Ce titre aux accents de Science-Fiction est une pirouette supplémentaire de la part d’artistes qui font décidément tout pour troubler le spectateur et l’inviter, par là , à la distance d’un recul. Car il s’agit, d’un mot, pour Taroop & Glabel, de lutter contre la bêtise humaine, contre ces certitudes, ou pseudo-certitudes, par où l’on cherche à s’aveugler et où l’on s’enferme, volontiers, comme on y est à l’aise. Et la tâche, il faut dire, est d’urgence, car l’époque est à son triomphe, relayée qu’elle est, cette bêtise, et encouragée d’autant, par les media de masse et par l’ensemble au reste des dispositifs de la société du spectacle.
Avec la série de 11 vénalynes Le bûcher pour les livres et pour leurs auteurs, Taroop & Glabel se retournent d’abord vers le passé. Au détail près, sont reproduites à l’aide de morceaux d’adhésif collés sur laminé, les premières pages de 11 livres d’auteurs condamnés jadis par l’Eglise. Religions et superstitions ne demeurent-elles pas la forme la plus récurrente de la bêtise et sa forme la plus permanente ? Taroop & Glabel soulignent aussi combien la bêtise sait emprunter de nouvelles formes. C’est ce qu’énoncent deux grands textes, dont l’un proclame : Avant c’était : « Plus jamais ça ». Aujourd’hui c’est : « Toujours pire » ? Continuité d’inspiration, donc, sous la variation d’apparence… Et l’autre d’enchérir : Avenir du paysage : un parc d’attractions bâti sur un charnier. Bref, une certaine vision du progrès… un motif qui leur est cher à travers les équivalences de fonction entre Jésus et Mickey, Lourdes et Disneyland. Dans l’un et l’autre cas, ne s’agit-il pas de divertir et d’éloigner la réalité ?
Pour mieux le faire entendre, et mieux semer le doute, Taroop & Glabel font preuve d’efficacité plastique en détournant à leur escient les moyens de la publicité, ou de la propagande, la force sémantique et graphique du slogan, pour mieux faire violence, pour mieux faire scandale, dans le plein d’évidence et d’insignifiance du discours environnant.
Deux autres vénalynes, Plan Nase et Norme Pipo, enfoncent le clou. Il s’agit cette fois de faire lumière sur les formes plus discrètes, plus banales, et en un sens plus sympathiques, sous lesquelles il arrive que la bêtise se déguise. Ce que suggèrent encore deux grandes pièces où Taroop & Glabel s’attaquent au bonheur, ou faudrait-il dire à ce qui en tient lieu, à cet horizon, tout de médiocrité satisfaite, tel que se le propose désormais l’homme « moyennisé », l’homme « auto-mutilé » (voir Gilles Châtelet dans Vivre et penser comme des porcs). Un jeune, cheveux en pétard, t-shirt plein de marques, sourit devant son pavillon. Un cadre dynamique, raie sur le côté, pull discrètement griffé, sourit devant sa voiture, sise elle-même devant une maison typique des classes dites intermédiaires. Deux étapes, en résumé, de la nouvelle vie bourgeoise. Deux caricatures dira-t-on ? Mais c’est le monde qui est caricatural ! Et c’est bien pour cela, c’est pour d’autant mieux le défaire, ce monde, ou pour du moins lui nuire, que Taroop & Glabel empruntent si volontiers le moyen du rire. Si le sacré – comme le disent T&G– est l’intimidation qui empêche le fou rire ; le rire, tel que le proposent Taroop & Glabel, ce rire qui tout désacralise, n’est-il pas le meilleur moyen qui reste, pour l’heure, de libération ?
François Coadou, 2007
François Coadou est philosophe. Il enseigne l’Histoire de l’art contemporain à l’École Supérieure d’Art de Toulon. Il est l’auteur de textes consacrés aux arts plastiques ainsi qu’à la musique, textes où se croisent, de manière récurrente, les thèmes de l’art, du religieux et du politique.