De la danse avant tout, sans autre motif : quoi de plus intemporel que la célébration du mouvement par lui-même ? On vient pour assister à la rencontre de deux cultures, chacune enracinée dans la tradition et le classicisme, mais on découvre des interprètes, incroyablement présents, irréductiblement contemporains.
Autour de la chorégraphe Rukmini Chatterjee évoluent quatre danseurs classiques, soit deux couples, représentant l’Inde et la France, dont la confrontation semble ouvrir un espace-temps inédit. Une brèche où viennent danser, comme une apparition, deux danseuses hors catégories, la chorégraphe elle-même et sa collaboratrice Wilfride Piollet — étoile de l’Opéra et chaînon manquant d’une généalogie française de la danse moderne, passant par Irène Popard, aujourd’hui enseignante aux résonances subtiles dans le champ chorégraphique.
Loin des expérimentations de métissages artificiels, censés actualiser la pratique traditionnelle à partir d’un autre genre jugé plus contemporain, Rukmini Chatterjee nous propose quelque chose d’inhérent à son propre parcours. Une hybridation a lieu à travers son corps plutôt que dans le dessin de ses pas. Par un jeu délicat d’intensification et de relâchement des tensions qui accompagnent le mouvement, son travail se situe à la frontière des deux techniques.
Certes, deux styles cohabitent. Violon et violoncelle dialoguent avec tablas et chants indiens, mais sans jamais verser dans la world music : Bach succède au raga indien ; pas de heurts ni de confusion. De même les deux couples se relaient, s’échangent parfois, créant un flux où l’on décèle quelques positions communes, des épaulements surtout, et une évidente proximité formelle, contredite par un rapport au sol diamétralement opposé. Tout en pliés, en frappes du sol, pour la danse indienne, quand les interprètes français s’acharnent à s’élever loin de la terre par des sauts ou avec des chaussons de pointes. L’incroyable mobilité du visage des danseurs indiens, exprimant une large palette de sentiments contrastés, s’oppose à l’effacement du visage des interprètes français, non pas figé mais comme absorbé par une tension intérieure, dévorante, dramatique et quasi-mortifère. Mais la rigueur est la même dans la succession des poses consacrées, dans la volonté de créer des formes justes, conformes à une image, élément d’une gestalt toute en poésie, débordant le cadre narratif.
Lorsque Rukmini Chatterjee, en quelques gestes, entame son solo, on assiste à une mise en puissance de ces différentes modalités d’intensification du mouvement. À la fois fluides et préoccupés, les gestes des mains et les mouvements du visage dessinent à partir du vocabulaire traditionnel un parcours inhabituel, intérieur et tragique : les yeux révulsés ou fixés sur le public entraînent le corps entier dans une dimension différente, étrangement moderne. Une danse d’extase à la Mary Wigman, une plainte déchirante à la Martha Graham, l’empreinte propre aux grands interprètes créateurs.Â
Horaire : 20h30
— Conception, Création, Chorégraphie et interprétation : Rukmini Chatterjee
— Collaboration chorégraphique : Wilfride Piollet et Abhoy Pal
— Collaboration musicale : Atul Desai et Ole Vik
— Assistante à la création : Solvei Stoutland
— Création lumière, régie et son : Thomas Hennequin et l’équipe technique de la Maison des métallos
— Avec : 2 danseurs classiques indiens (Anuj Mishra, Souraja Tagore), 2 danseurs classiques français (Laure Daugé, Artur Zakirov), 5 musiciens (Agnès Davan, Benjamin Aubry, Kaushik Bhattacharya, N. Shankar, Shyamal Kanjilal)