Rémy Hysbergue
Rémy Hysbergue
Le Frac Auvergne et le Frac Poitou-Charentes ont souhaité s’associer pour consacrer à Rémy Hysbergue deux expositions accompagnées de la publication d’un important livre.
La peinture de Rémy Hysbergue est une histoire de fantômes. Par fantômes, il faut comprendre aussi bien les oeuvres du passé que celles du présent, aussi bien la multitude des techniques picturales que leurs effets.
Habitées par les formes errantes de l’art, hantées par les ritournelles picturales qui flottent dans le vent de l’histoire, les peintures de Rémy Hysbergue montrent que les fantômes n’aiment rien tant que se faire nommer et évoquer, se promenant, parfois à visage découvert, parfois sous un voile plus ou moins sombre, à la surface de ses oeuvres.
Depuis plus de quinze ans, les séries se multiplient, sautent d’un style à l’autre, procèdent de samples et de mixages réglés au plus fin, puisent sans vergogne dans la boîte à outils de l’histoire de la peinture comme un philosophe puiserait dans celle des concepts pour alimenter sa propre pensée et la faire évoluer.
Les fantômes qui peuplent la peinture de Rémy Hysbergue forment une communauté spectrale cosmopolite et contre nature, au sein de laquelle se côtoient le plus léger – disons Casper pour l’espièglerie de certaines formes ou titres – et le plus lourd – les poltergeists et autres esprits frappeurs de l’histoire de l’art. Ce peuple ectoplasmique – constitué d’artistes, de mouvements, de tics picturaux, de stéréotypes, de clichés, de styles majeurs, de langues pauvres ou appauvries par leur emploi excessif et inapproprié – hante les différentes séries et semble repousser à distance celui qui les a réalisées.
De distance, il en est en effet beaucoup question dans ce travail qui semble vouloir coûte que coûte échapper à toute tentative de circonscription par le style en s’employant à brouiller les pistes, refuser toute forme de marque de fabrique et, même, simuler le sabordage par l’utilisation de titres humoristiques, ironiques, ou par le choix de supports a priori inadmissibles en peinture – comme le velours – ou considérés comme totalement minés – comme le miroir.
L’oeuvre est d’une extrême précision, ne laissant rien au hasard, absolument consciente des enjeux historiques et grammaticaux qui se jouent aujourd’hui dans la peinture contemporaine, absolument consciente de l’écueil (ou du défi, c’est selon) constitué par le médium peinture lui-même, qui plus est lorsqu’on est un peintre français et que l’on traîne derrière soi la vieille fatwa de la mort annoncée de la peinture.
Bootleg et Surface Jockey
Toute oeuvre porte en elle sa propre archéologie, qui plus est si elle est une peinture, pour des raisons évidentes de sédimentation historique. La peinture de Rémy Hysbergue, de ses premiers développements jusqu’à aujourd’hui, s’est constituée selon un principe de sélection, dans l’histoire de l’art, les arts appliqués ou le design, d’un certain nombre d’événements picturaux destinés à être mixés, assemblés, pour en tester les possibilités d’hybridation, comme le font les DJ’s et les musiciens qui pratiquent le bootleg, c’est-à -dire une création obtenue par mixage de deux titres préexistants, comme le Grey Album de Danger Mouse, totalement interdit dès sa sortie, obtenu en mixant les morceaux a cappella du Black Album de Jay-Z avec le White Album des Beatles.
Rémy Hysbergue revendique le piratage, bien que le terme de flibusterie soit en réalité plus approprié par sa racine anglaise freebooster qui signifie « libre butineur ». Ses oeuvres sont toujours la résultante d’un processus d’emprunts, d’hybridation, de sampling, de cut up, de scratching pictural et l’on peut ainsi trouver dans une même peinture une collision de références qui, a priori, ne peuvent fonctionner ensemble, provoquent des anachronismes, des monstruosités formelles et théoriques.
Il utilise pour cela tous les outils qui sont à sa disposition et par outils, il faut entendre une somme totalement hétérogène d’ustensiles, de postures, d’attitudes, de références historiques : gestes empruntés à Gerhard Richter dans les séries Irrévérences et Spectral, dripping pillé chez Jackson Pollock dans la série Pour l’instant, abstraction lyrique et calligraphie orientale dans la série Entre deux, aplats sinusoïdaux creusant la surface empruntés à Jason Martin dans plusieurs séries …
Mais parfois les choses sont beaucoup plus complexes et les emprunts tellement mixés, recouverts, intriqués, qu’il devient quasiment impossible de démêler quoi que ce soit. On peut donc passer des heures à jouer au jeu de pistes de l’histoire de la peinture mais cela n’aurait pas beaucoup de sens et ne pourrait prendre en compte, au-delà des références historiques pures, la quantité vertigineuse d’éléments que Rémy Hysbergue emprunte aux centaines de photographies, coupures de magazines, morceaux d’emballages punaisés sur les murs de son atelier.
Voir les peintures les plus complexes de Rémy Hysbergue revient à écouter les titres les plus élaborés d’Aphex Twin et d’Autechre (pour la dissonance) ou de Daft Punk et Justice (pour le gros son et la production efficace…) au sein desquels les emprunts sont si travaillés qu’il n’est quasiment plus possible de savoir s’il s’agit d’une création originale ou d’une somme de citations.
Les peintures récentes de la série Pour Voir, par exemple, sont particulièrement intéressantes dans la mesure où elles jouent d’une suraccumulation et d’un paradoxe visuel : posté à distance, le spectateur est face à des oeuvres très graphiques, très plates en apparence, à l’esthétique presque techno par moments, alors que de près, la surface se révèle grumeleuse, souillée, ponctuée d’effondrements, de déflagrations hardcore, de riffs suraigus, de larsens picturaux, de plages ambient, de pics virtuoses, de défaillances, de passages noisy, de bruits blancs…
Pour Voir donne l’indice, par son titre, d’une volonté de réévaluer l’importance du regard en peinture et joue simultanément sur l’extension syntaxique en Pourvoir, c’est-à -dire fournir ce qui est nécessaire à la peinture (pour qu’elle tienne, pour qu’elle soit vue…) et, pourquoi pas, pourvoir en cassation le jugement rendu sur la supposée mort de la peinture ou, pour aller encore plus loin, pourvoir la peinture elle-même en cassation pour invalider et censurer la notion même de médium, en finir avec un débat sans fondement.
La peinture de Rémy Hysbergue concerne la manipulation d’énoncés picturaux préexistants dans le but d’en proposer de nouveaux agencements par fusion, mixage, montage, juxtapositions anachroniques. Comme l’historien de l’art Aby Warburg, Rémy Hysbergue croit au principe de survivance des images, au fait qu’un certain nombre de formes soient destinées à perdurer, à hanter le temps, à passer d’une époque à une autre comme on traverse les murs, pour être exploitées de façons inattendues. Il n’y a donc pas d’inédit mais de la reformulation et, si l’on reprend l’image du Disc Jockey employée précédemment, Rémy Hysbergue est un Surface Jockey jouant avec les samples de l’histoire de l’art.
Comme le dit Rodolphe Burger, « le sampling manipule des éléments de mémoire pure, immédiatement évocateurs, des parfums sonores. En même temps, il les détourne. Le simple fait de les couper et de les boucler les détourne. Quand De La Soul boucle un fragment de riff d’Otis Redding, ils font deux choses à la fois : ils évoquent une époque, une strate de la mémoire musicale, et ils la détournent instantanément ». Jean-Charles Vergne, Directeur du Frac Auvergne. Extrait du texte Le Grand Mix, à paraître dans le livre.
Publication
Remy Huysbergue
112 pages, 41 reproductions couleurs, textes de Jean-Charles Vergne, Alexandre Bohn, entretien de Guitémie Maldonado, français/anglais.