La pratique de Joseph Grigely trouve son origine dans un accident où l’artiste, alors enfant, perdra l’ouïe. Depuis, Joseph Grigely s’efforce de penser la communication et la juste transmission d’informations entre les hommes. L’œuvre People are Overhearing Us prolonge ainsi la série Conversations With the Hearing débutée en 1994, où des dizaines de bribes de papiers et de post-it portant des commentaires, des questions ou des dessins, se trouvent agencés en un grand tableau. Comme le titre l’indique, le spectateur se trouve alors dans la position d’une tierce personne qui «entendrait par hasard» ces bribes de conversations ou les surprendrait sur le vif.
Mais le langage, plutôt que de produire un sens global à partir de ces divers éléments juxtaposés les uns aux autres, apparaît comme un véritable outil formel dans la composition de l’œuvre. Et, parmi cette mosaïque de petits papiers, il est un texte qui attire tout particulièrement notre attention: «Can the same things happen with words and happens with bodily movements? Words are also very practical things» (Est-ce que les mêmes choses peuvent se produire avec les mots et avec les mouvements du corps? Les mots sont également des choses très concrètes). Langage écrit, langage parlé, langage du corps: chaque médium semble alors capable de produire du sens, tout en comportant sa propre spécificité.
En ce sens, la série Songs Without Words représente des coupures de journaux où sont représentés des chanteurs lors de leur performance vocale devant les foules. A travers ces photographies sans légende, nous ne savons pas quel est le message que veut faire passer le performeur. Aucune information ne nous est livrée sur le sens de ses paroles. Néanmoins, ce que nous percevons, c’est son attitude: l’expression du visage et du regard, la tension et l’effort palpables, le corps dressé face au public, les mains venant scander le flot de la parole ou s’agripper au micro. Tous ces éléments corporels créent finalement un sens tout à fait nouveau. Il y aurait donc un sens passant par le dicible (la voix ou le chant scandant les paroles), et un autre passant par le montrable (l’attitude d’un être, le corps d’un artiste en pleine performance).
Joseph Grigely relève également un autre article de presse, où l’on perçoit deux hommes assis sur un seau posé sur la glace du lac du Michigan. L’un d’eux confie au journal: «Les gens pensent que nous sommes fous, assis sur des blocs de glace. Mais se relaxer et discuter ici, c’est ça notre vie». L’artiste reproduit alors ses deux seaux, symboles de conversation et de convivialité, à partir de résine translucide. Ce même matériau est utilisé dans We Need a Drinking Song, sculpture représentant un poêle à bois, et évoquant un lieu de chaleur, de proximité et de fraternité, avec des partitions aux murs retranscrivant des chansons populaires à reprendre en chœur.
Finalement, ces bouts de papiers, ces coupures de journaux et ces objets remodelés dans de la résine translucide, témoignent d’activités humaines fondées sur l’échange et la compréhension de l’autre. Elles en constituent des «remains», c’est-à -dire des traces, des marques.
L’œuvre Bulletin Board apparaît quant à elle comme un vestige des compositions People are Overhearing Us et Conversations with the Hearing. En effet, Joseph Grigely a photographié à taille réelle une toile défaite: celle-ci demeure quasiment vide, parsemée de trous de punaise, et les papiers multicolores porteurs de messages ont été arrachés. Il n’en reste que quelques coins, çà et là , sous les agrafes, ultimes traces du geste de l’artiste.
Å’uvres
— Joseph Grigely, People Are Overhearing Us, 2012. Tirage pigmentaire sur Dibond, sous Diasec (deux panneaux). 2 x (111,8 x 188 cm)
— Joseph Grigely and Amy Vogel, Storage Rack, 2012. Résine translucide. 214 x 60 x 92 cm
— Joseph Grigely, Songs without Words (Maxwell), 2012. Tirage pigmentaire. 83,34 x 98,58 cm