Il y a trois ans Peter Zimmermann plongeait ses toiles immenses dans des bains de résine. Aqueuses autant qu’aquatiques elles submergeaient le spectateur de vagues de peintures. Les formes dessinées comme des tâches jouaient de la tectonique. Continents à la dérive, nuages abstraits, elles apparaissaient et disparaissaient, profondes et planes à la fois. On les croyait infinies. Immenses, elles se déployaient, glissant les unes sur les autres. Transparentes et colorées, elles formaient une peinture placenta.
Le risque dans ce genre de pratique est de confondre la technique avec l’œuvre. Décliner à chaque fois la même recette. Allonger la sauce. Le savoir faire prendrait le pas sur l’innovation, la recherche, la prise de risque, avec comme garantie un ouvrage maîtrisé, séduisant et au final sans surprise. La production se ferait au mètre, au kilo, à la coulure, au nombre de coup de pinceau. L’heureuse surprise de Reliance est d’avoir évité ces pièges. Les toiles sont reconnaissables du premier coup d’œil, mais les pièces présentées tentent des aventures aussi surprenantes qu’heureuses.
Les travaux exposés sont en évolution. Le tachisme des toiles précédentes est conservé, les superpositions sont toujours présentes, mais le nouvel opus s’attarde ailleurs, vers une recherche sur la trame, sur le pointillisme, renouant avec une peinture sérigraphique, presque géométrique. Les grands formats perdent en abstraction et s’éloignent de la palette graphique. L’image est moins cryptée, moins brouillée, elle renoue avec un style plus figuratif, à la limite du portrait. Le traitement informatique qui présidait à la déconstruction des images semble avoir été dépassé. La toile ressemble aux sérigraphies des années 60 avec leurs points grossiers.
Après ces tableaux-trames, sérigraphiques, où l’on croit reconnaître des visages, la deuxième évolution de Reliance se trouve dans les peintures noires. La dernière salle accueille des petits formats en forme de constellation. Le modèle n’est plus le fond de l’océan mais la voie lactée. Le macrocosme se trouve prisonnier du microcosme. La peinture se transforme en papier tue mouche, elle emprisonne les étoiles avec sa glue en forme de résine.
Entre perforation et ajout de matière, ces peintures de chevalet noires transportent l’imaginaire aussi bien que les séries précédentes. Les dimensions gigantesques chez l’artiste allemand étaient certes admirables, mais ces nouveaux formats, traditionnels, presque «bourgeois» les rendent plus accessibles, plus intimes. Ils sont moins dans la démonstration de force, dans l’auto-célébration. Plus petits, ils gardent néanmoins les qualités d’ouverture des grands formats. Ils savent tout autant libérer et enfermer le regard dans une étendue proche d’un puits sans fond, l’intercaler dans une zone hors limites.
La dernière innovation révélée par Reliance est le carrelage de résine noir qui occupe une pièce entière. Cette flaque étoilée, ce bitume crochetée et griffée bascule l’œuvre de Zimmermann dans le champ de la sculpture. L’impression all over est totale, l’inversion donne le vertige, l’expérimentation devient une déambulation, les pieds remplacent les yeux. L’espace s’impose à travers ce voile noir.
Après avoir évoqué la mer, le ciel, c’est une force tellurique qui apparaît ici. Les coulures d’un magma noir charbon sont visibles. Les stigmates de son passage sont lisible sur le sol. La lave est froide, elle dessine une carte avec ses cratères, ses chemins, ses constellations. Alors qu’on pouvait s’attendre à une exposition de plus, alors qu’elle s’annonçait sans surprise, Reliance propose avec les tableaux en trame, les tableaux noirs et les dalles de vrais nouveautés et un plaisir renouvelé.Â
Peter Zimmermann
— Template I, 2006. Resine epoxy sur toile 200 x 145 cm.
— Scar, 2006. Resine epoxy sur toile. 250 x 160 cm.
— Sans titre, 2005. Résine époxy sur toile.